ECOLE IVOIRIENNE : A L’ERE DU BAC WHATSAPP !

4 août 2020

ECOLE IVOIRIENNE : A L’ERE DU BAC WHATSAPP !

L’école ivoirienne, on la sait déjà malade, malade de ses grèves intempestives, malade d’une crise de vocation, malade de la prédation sexuelle, une massification du phénomène des grossesses scolaire, malade en partie également de sa gestion.  A toutes ses tares précitées, s’ajoute aujourd’hui une gangrène nouvelle, celle de la tricherie au baccalauréat par l’intermédiaire du réseau social whatsapp, un phénomène pudiquement appelé sous nos latitudes ivoiriennes «  bac whatsapp ».

Le dicton est bien connu : autre temps, autres mœurs. Les  apprenants ivoiriens ont aussi fait leur mue en matière de tricherie, ils s’inscrivent désormais dans l’air du temps. Finies les vieilles méthodes, qui consistaient à avoir recours à des supports physiques – cahiers de cours, bouquins, annales – lors des examens à grand tirage, principalement celui du bac. L’heure est dorénavant à la digitalisation des pratiques, à la sophistication des méthodes.

-UNE TRICHERIE EN MODE 2.0

 Tout porte à croire que nombre d’apprenants ivoiriens ont très vite pris la mesure du ‘’potentiel ‘’ de l’outil numérique, en l’occurrence le téléphone portable, dans la pratique de la tricherie. Beaucoup plus commode au sens d’être moins encombrant donc plus dissimulable et surtout disposant d’une capacité d’emmagasinement de supports impressionnant, beaucoup d’élèves ont vite fait de parier sur cet outil des temps modernes pour déjouer la surveillance dans les salles de composition et obtenir le précieux sésame en l’occurrence le baccalauréat. Que d’ingéniosité dans la planque de ces téléphones portables ! Pour les témoignages qui nous reviennent, cette race de tricheurs 2.0 a plus d’un tour dans son sac pour dissimuler et faire entrer le téléphone portable en salle. Tenez pour le coup, certains apprenants poussent l’audace jusqu’à camoufler leur portable -des nano portables- dans des tranches de pains, dans leurs chaussures ou encore dans leurs dessous, passant ainsi sans difficulté l’étape des fouilles corporelles, qui est de rigueur à l’entrée de chaque établissement. Comble de l’ironie, pendant que j’écrivais ce billet, j’ai fait les frais de cette dextérité de nos apprenants en matière de planque de portables.

En effet, officiant comme enseignant de philosophie au centre ouest de la Côte-d’Ivoire, j’étais commis à la surveillance du baccalauréat 2020. Au second jour des compositions, plus précisément le mardi 28  juillet, le vice-président du centre de compositions, qui a en charge d’apposer les stickers sur les copies des apprenants, pénètre dans la salle dont j’étais le surveillant et se dirige instinctivement vers un élève, effectue un rapide contrôle de sa calculatrice et découvre qu’à l’arrière de celle-ci est flanqué un portable. L’apprenant fraudeur a bonnement évidé l’arrière de la calculatrice, qui bien évidemment ne fonctionnait plus, et y a installé un portable. Frappé de stupeur, je reste sans voix sur le moment. Automatiquement, cette interrogation germe à l’esprit : comment est-ce que j’ai pu ne rien constater pendant 3 heures de surveillance tandis que le vice-président en un laps de temps a pu repérer la supercherie ? Reproche qu’il me fera du reste, avec une pointe de suspicion. Diantre, comment aurais-je pu me mettre à l’esprit qu’une banale calculatrice, qui du reste est autorisée, pouvait se transformer en un lieu de planque de portable ?  Renseignements pris plus tard, il s’avère que l’apprenant fraudeur avait eu une attitude louche dès l’entrée du vice-président dans la salle et que des cas similaires avaient été découverts la veille, toutes choses qui ont favorisé l’inspection de la calculatrice incriminée. En un mot comme en mille, le phénomène du bac whatsapp prospère, il se porte si bien qu’il fait des émules à l’échelle du pays. Abidjan n’est plus le seul nid ou l’épicentre de la fraude, l’intérieur du pays s’y met activement. La pratique du bac whatsapp donne lieu aujourd’hui à de vastes réseaux de racolage des élèves mais aussi des parents, qui sont généralement le bras financier de ce phénomène malsain. Ainsi, des recruteurs, certains étudiants et enseignants sont à l’œuvre pour proposer aux groupes d’élèves sur whatsapp leurs services moyennant forte rémunération. Après quoi, lors des jours de composition, ces étudiants et enseignants indélicats se chargent de faire parvenir les corrigés des différents sujets sur le compte whatsapp des groupes d’élèves avec qui ils ont eu à passer la transaction. A la vérité, le fleurissement du phénomène du bac whatsapp renseigne à l’évidence sur l’état de déliquescence moral dans lequel se trouve la Côte-d’Ivoire. C’est bien connu, l’école n’est rien d’autre que le microcosme du macrocosme social, elle est donc le reflet de la société ivoirienne, un marqueur qui en dit long sur les antivaleurs qui gangrènent le corps social.

  • LE BAC WHATSAPP, UN PHENOMENE SYMPTOMATIQUE DE L’ETAT DE DELITEMENT MORAL DU CORPS SOCIAL IVOIRIEN

Selon le mot de l’écrivain ivoirien Tiburce  Koffi, « la jouissance paresseuse » semble s’ériger en mode de vie sous nos latitudes ivoiriennes. On veut tout acquérir sans effort, sans culture du travail ou par des chemins de traverse (des voies détournées). A coups de pratiques peu orthodoxes- tricherie, pots de vins, clientélisme, népotisme, corruption-, nombre d’ivoiriens veulent se faire une place au soleil. Pas étonnant alors que nos apprenants s’y mettent d’autant plus que les adultes ne font pas mieux. Le sens de l’effort personnel, le sens du travail se perd progressivement au profit du règne de l’argent. On entretient l’idée qu’avec l’argent, on peut tout avoir, y compris les parchemins. Il faut se l’avouer, aujourd’hui, un certain environnement social teinté de passe-droits, de cupidité nourrit le phénomène du bac whatsapp tant et si bien qu’une frange des apprenants ivoiriens n’a plus le cœur à l’ouvrage, elle rechigne à l’effort et préfère se vautrer dans la médiocrité et s’adonner à cette forme de tricherie 2.0 . Faisant figure de véritable fléau, le bac whatsapp vient mettre à mal les efforts consentis par les pouvoirs publics en vue de la crédibilisation des parchemins ivoiriens fortement entachés par la décennie de crise militaro-politique qu’a connue la Côte-d’Ivoire. La tutelle c’est-à-dire le ministère de l’éducation nationale semble avoir pris toute la mesure de cette énième gangrène, qui vient enlaidir l’image du système éducatif ivoirien. Elle annonce des sanctions disciplinaires, pénales pour les enseignants ou les étudiants impliqués dans ces pratiques. Quant aux élèves coupables de tels agissements, leur exclusion de toutes les écoles de Côte-d’Ivoire sera de rigueur. Autant de dispositions, qui pour l’heure ne semblent pas réfréner les ardeurs des acteurs de cette pratique peu orthodoxe. En tout état de cause, plus qu’une option, la lutte contre le bac Whatsapp et de manière générale, le combat pour le renouveau de l’école ivoirienne s’impose comme un impératif, une urgence absolue.

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