Seydou KONE

OPPOSITION POLITIQUE AFRICAINE : LE SYNDROME DE LA DÉSUNION !

On ne le dira jamais assez, l’opposition politique africaine est rongée par la même gangrène congénitale, par le même mal rédhibitoire, celui de la désunion, de la balkanisation. Comment l’opposition sous nos tropiques africains pense-t- elle raisonnablement venir à bout des régimes auxquels elle a,  à faire face, vieux pour certains de 20 ans, 30 ans ou plus, sans créer un front uni ? La question s’impose avec la force de l’évidence tant il est vrai que les élections présidentielles se succèdent sous nos latitudes, sans que les oppositions politiques africaines n’arrivent à relever le défi de la candidature unique. Engluées qu’elles sont dans les luttes intestines, dans une guerre de clochers, de positionnement où  chaque opposant roule pour sa petite boutique, pour sa petite chapelle sans entrevoir l’exigence d’une union sacrée pour assurer le changement tant attendu. Pas besoin de se creuser longtemps les méninges pour réaliser que cet émiettement de l’opposition politique africaine se nourrit principalement de l’éternel bataille de leadership entre factions rivales. Une lutte d’influence intra muros qui tourne au choc des égos.

Une opposition en proie à la guerre des égos

Assis sur la montagne de leurs certitudes, les opposants politiques africains nourrissent tous à tort l’ambition d’un destin messianique ou présidentiel. Rien moins que l’expression d’un égo surdimensionné, qui n’a d’égal que leur incapacité notoire à se réunir sous une bannière unique. C’est un paradoxe bien africain, une gageure que les opposants politiques africains se croient individuellement capables de terrasser ces régimes autocratiques à l’échelle du continent, sans se coaliser sous une étiquette commune. Le dernier épisode en date, est ce qu’il est convenu d’appeler le psychodrame de Genève, qui a vu l’accord des têtes d’affiche de l’opposition congolaise sur le choix de Martin Fayulu, avant que ledit choix ne soit dénoncé à peine 24 heures plus tard. Le ticket vital Kamehre Etienne Tshisékedy qui a vu le ralliement du premier au second, même s’il est à saluer, reste insuffisant pour battre le candidat unique de la mouvance présidentielle. Il y a lieu de préciser que nous sommes dans un mode de scrutin à un tour, qui se révèle à l’analyse comme une sanction de l’émiettement politique. Une opposition en rang dispersée face à un pouvoir resserré autour d’un candidat unique, qui a pour lui les cordons de la bourse et l’appareil d’Etat, part largement favorisé d’autant plus que l’élection présidentielle se tiendra vraisemblablement à huis clos -sans observateurs étrangers-. Le cas congolais est loin d’être isolé, il n’est pas sans rappeler celui de l’opposition malienne, camerounaise, togolaise…qui n’arrivent pas à vaincre le signe indien de la division.

Un autre facteur non moins important du délitement de l’opposition politique sous nos latitudes africaines est sa vénalité.

Une opposition politique en butte à la vénalité

Il  n’est pas rare de voir certains opposants politiques céder aux avances du pouvoir en place, en acceptant des promotions ministérielles, des avantages pécuniaires et matériels. Une transhumance avec armes et bagages qui en dit long sur leur incapacité de résilience face aux sirènes de l’argent. Il faut se l’avouer sous nos tropiques africains, certains partis politiques n’ont de nom que leur appellation, de véritables ‘’partis alimentaires’’ qui sont aussi inconstants que des girouettes, prenant le soin toujours de « sécher leurs habits là où le soleil brille » selon le mot d’une figure politique ivoirienne,- comprenez par là : se ranger du côté du pouvoir pour profiter de ses délices-. Une versatilité qui agace les masses sociales et qui participe aujourd’hui d’une désaffection du citoyen lambda d’avec la chose politique.

En tout état de cause, plus qu’une option, l’unité des partis d’opposition sous une candidature unique  dans nos Etats africains fait figure d’exigence. L’accession au pouvoir d’État est à ce prix.


ÉCOLE IVOIRIENNE : L’ЀRE DE L’ÉLЀVE- ROI SE POURSUIT !

Malheureusement, les années passent et se ressemblent sous les latitudes ivoiriennes en matière de mœurs scolaires. Au-delà des tares structurelles qui gangrènent le milieu scolaire ivoirien- phénomène de massification, de la violence, de la tricherie, des grossesses… -, une autre pratique non moins désastreuse fleurit de plus en plus à l’approche de chaque congé scolaire. En effet, ce qu’il est convenu d’appeler le « phénomène des congés indus » se généralise à l’échelle de tout le pays. Les élèves ivoiriens s’illustrent de plus en plus  dans l’art de faire et de défaire le calendrier officiel des congés scolaires au gré de leurs caprices du moment. Tout se passe comme s’ils étaient passés le mot pour perturber et débrayer collégialement les écoles publiques et privées. Ainsi, comme à l’accoutumée, en prélude à ces congés de nouvel an, ils n’ont pas dérogé à cette pratique, qui se mue progressivement en habitude viscérale. Pour le coup, ce lundi 10 décembre, me rendant au lycée 3 de Gagnoa où j’officie en qualité de professeur de philosophie, j’aperçois aux abords de l’école un regroupement inhabituel d’élèves, doublé de clameurs incessantes, qui témoignent à l’évidence d’une atmosphère surchauffée au sein du lycée. Sur le moment, je nourris une certaine appréhension à franchir le portail du lycée pour rejoindre la salle des professeurs, d’autant plus que l’entrée est obstruée par la présence des élèves et je suis conscient également de l’extrême violence dont ils peuvent faire preuve- notre lycée ayant subi leur furie destructrice deux ans auparavant, un véritable saccage en règle, avec en prime la bastonnade d’un officier de police-. Néanmoins, je décide de passer outre cette peur, et j’arrive à me faufiler pour accéder à l’enceinte de l’établissement déjà noire d’élèves. Renseignements pris auprès de certains collègues, les élèves ont décidé de débrayer et de prendre ipso facto leurs congés de Noël prévus le 21 décembre soit dans deux semaines.

A la vérité, « ce coup de force » des élèves n’est nullement une surprise. Depuis plusieurs jours déjà, il bruissait qu’ils s’étaient accordés sur la date de ce lundi 10 décembre pour rentrer en congés, au mépris du calendrier officiel. Sauf, qu’aucune mesure préventive et dissuasive n’a été prise par les autorités pour conjurer cette situation. Il faut bien se l’avouer, aussi bien les autorités en charge de l’éducation nationale que le personnel enseignant et d’encadrement semblent être démunis face à cette gangrène.

-Une communauté éducative impuissante

Que faire face à ces perturbations intempestives de cours qui affectent la qualité de l’enseignement ivoirien ? La question est lancinante et semble pour le moment sans issue. De la prise de sanctions  contre les élèves perturbateurs qui vont jusqu’au renvoi de certains, en passant par le déploiement des forces de l’ordre (que les élèves n’hésitent aujourd’hui pas à pourchasser et à bastonner) et les campagnes de sensibilisation, rien n’y fait jusqu’à présent. Et tout porte à croire que la pratique prospère d’année en année au point d’avoir une dimension nationale.  C’est bien connu, le système éducatif ivoirien est déjà en piteux état, ces déperditions de cours viennent se rajouter à une longue liste de maux, qui immanquablement constituent un obstacle aux nombreux efforts consentis par les pouvoirs publics- effort infrastructurel et effort de recrutement- pour redonner à l’école ivoirienne son lustre d’antan.

Cependant, l’école n’est rien d’autre que le reflet de la société ivoirienne, une société malade, gangrénée par de nombreux maux.

Une école ivoirienne malade à l’instar du corps social

C’est une évidence, l’école est le microcosme du macrocosme social, elle est l’émanation et le creuset des réalités sociales. L’état comateux de l’école ivoirienne est donc symptomatique des maux qui minent notre société, qui ont pour noms violence, laxisme, incivisme, corruption, concussion, tricherie, dissolution des mœurs… et que sais-je encore. En un mot comme en mille, la société ivoirienne se porte mal, et c’est un euphémisme que de le dire. Ce « phénomène des congés indus » est juste un indicateur de contre-performances, une piqûre de rappel sur l’énormité du chemin à parcourir pour sortir de l’ornière. Au-delà du taux de croissance ivoirien qui frise les deux chiffres, et qui pourrait faire pâlir d’envie bien de pays occidentaux à la croissance en berne, les pouvoirs publics et tout le corps social ivoirien gagneraient à revenir à l’essentiel c’est-à-dire le réarmement moral, la reconversion des mentalités dans le sens d’une culture du civisme, de la discipline et du travail, seuls gages d’un développement véritable.


Le mouvement des « gilets jaunes » vu d’Afrique

Hallucinantes, surréalistes, invraisemblables, les qualificatifs ne manquent pas pour décrire les scènes de violence orchestrées sur les Champs Elysées et la place de l’arc de triomphe, elles sont « dignes » de certaines de nos « républiques bananières », où l’incivisme se double d’une interprétation permissive de la démocratie. Sauf que là, ne nous méprenons pas, nous ne sommes pas sous les tropiques africains, mais plutôt sous les latitudes françaises. Une éruption, une explosion de violence qui n’a d’égale que l’incompréhension qu’elle suscite vue d’Afrique. La rue africaine s’interroge et se perd en conjectures, « mais où va la France ? », dit-on.

Une France méconnaissable

Il faut se l’avouer, les scènes de guérilla urbaine, les saccages, le vandalisme, les batailles rangées entre policiers et manifestants -que dis-je émeutiers-, le nombre important de victimes, d’interpellés… ont fait l’effet d’un choc sous les tropiques africains. Comment la France en est-elle arrivée là ? La belle France, celle des « pratiques policées », « des mœurs raffinées » en est là aujourd’hui, défigurée, souillée par tant de violences et d’incivisme. Un déchaînement d’une rare violence dirigée en grande partie contre les symboles de l’Etat et de la finance, qui dénote à l’évidence que les pays en voie de développement, et en particulier les pays africains n’ont pas le monopole de la culture de la violence ou de la « bêtise ». Oui, il ne serait pas excessif de qualifier cette furie destructrice de véritable bêtise car rien ne peut justifier un tel niveau de violence et de destructions. C’est bien connu, la démocratie réside non pas dans l’argument de la force, mais dans la force de l’argumentation, les protestations ne peuvent se faire que dans les limites du respect de la chose publique, et du respect des autres. Hélas, la France vient d’administrer la preuve que l’exemplarité des mœurs républicaines n’est pas toujours du côté de ceux qu’on croît porter l’étendard du civisme-le respect de la chose publique-.

En outre, la rue africaine s’interroge : comment le président Macron va-t-il sortir ce cette mauvaise passe ? C’est sans conteste la pire tempête à laquelle il a à faire face depuis le début de son quinquennat, après le feuilleton Benallard. Tout porte à croire que le président jupitérien, le maître des horloges comme il aime à se qualifier, laissera des plumes dans cette fronde sociale protéiforme. Les dernières propositions de mesures de sortie de crise du premier ministre, Edouard Philipe, laissent entrevoir une inflexion de la part de l’exécutif, sinon un rétropédalage, qui du reste est jugé tardif et insuffisant.

Un président français qui a perdu de sa superbe.

Pour le moins, le capital sympathie du président Macron s’est fortement effrité à l’échelle du continent africain. Un style de gouvernance jugé froissant, voire condescendant par moments. Certains propos du jeune président français Macron sont heurtants et agaçants à plus d’un titre. On se souvient qu’il reprochait à Hollande un manque d’autorité, de fermeté dans l’action publique, mais sous son magistère, on n’est pas loin de penser qu’on glisse vers l’autoritarisme et l’arrogance. Du recadrage public de l’ex-chef d’État major des forces  françaises qui a précipité la démission de celui-ci, à la sortie froissante du président français faisant état de ce que le sous-développement en Afrique est d’ordre civilisationnel, son dérapage en Pologne sur les travailleurs détachés, ou encore ses propos peu amènes à l’endroit du président Roch Marc Kaboré lors de l’étape burkinabé de son périple africain, qu’il a vite fait de mettre sur le compte de la plaisanterie… le président  Macron irrite de plus en plus. Et justement, c’est l’un des éléments favorisant cette crise sociale. Le manque de véritable concertation, la volonté d’embarquer les français dans un train de réformes sans leur adhésion préalable, le manque d’empathie, le mépris, l’indifférence, le manque de compréhension des souffrances du petit peuple, la chute du pouvoir d’achat faute d’accompagnement suffisant pour les plus pauvres, qui constituent la lame de fond de cette contestation sociale sans précédent.

En tout état de cause, cette forte période d’agitation sociale constituera un tournant décisif de sa mandature, il y aura vraisemblablement pour l’exécutif français un avant et un après « gilets jaunes ». Peut-être que cette fronde sociale inédite aura le mérite de rappeler au président Macron que l’urgence des reformes sociales requiert un minimum de consensus national, un minimum d’adhésion préalable des Français.

 

 


Latitudes ivoiriennes : quand la corruption nous gouverne !

S’il est un phénomène sur lequel tous les ivoiriens s’accordent aujourd’hui, c’est incontestablement celui de l’explosion de la corruption, de la course à l’enrichissement illicite. Un véritable sport national qui gangrène toutes les strates de notre société.

Aucun secteur d’activité n’est épargné par ce fléau qui étend irrésistiblement ses tentacules sur l’ensemble du corps social… Du corps judiciaire, en passant par celui des régies financières (qui détient le Graal en la matière), de la santé, de l’enseignement, des forces de sécurité… ou encore les ministères, qui se sont transformés en véritables nids de la corruption. Le phénomène ne s’est jamais « aussi bien porté » sous nos tropiques ivoiriens. En un mot comme en mille, il a atteint des sommets inimaginables.

Tout se passe comme si tous ceux, ou presque, qui détiennent une parcelle de pouvoir se sont donnés le mot pour s’en mettre plein les poches. Même « les sans grades », comprendre les agents subalternes de l’administration, ne dérogent pas à cette tendance lourde. Que d’ingéniosité ou de savoir-faire déployé par les Ivoiriens dans leur secteur d’activité respectif pour prendre indûment « leur part du gâteau » ou pour « manger » comme on le dit trivialement en terre ivoirienne (comprenez s’en mettre plein les poches).

Surtout ne nous méprenons pas, cette poussée extraordinaire de la corruption est la conséquence d’un délitement de la société ivoirienne par le haut. C’est bien connu, le poisson pourrit toujours par le haut. L’élite dirigeante ivoirienne y est pour beaucoup dans le fleurissement de cette corruption de masse.

Une élite dirigeante prédatrice

C’est un secret de polichinelle, les hommes les plus riches de ce pays sont des notables politiques, des chefs d’institutions, des ministres, des hauts commis de l’État… bref, une élite dirigeante prédatrice et nombriliste, qui pour l’essentiel considère le pouvoir comme une mangeoire où on vient se servir plutôt que servir l’intérêt général.

Et pourtant que d’espoirs suscités en 2011 à son arrivée au pouvoir! Précédé de sa réputation de banquier de haut vol (ayant exercé comme gouverneur de la banque centrale de l’Afrique de l’ouest et DGA du FMI), le président Ouattara personnifiait toutes les attentes des ivoiriens liées à la moralisation de la vie publique. Hélas, les fruits n’ont pas tenu la promesse des fleurs. 

Pire, les scandales financiers se multiplient dans une relative impunité. Le dernier en date, et de loin le plus retentissant, est celui de la fraude orchestrée au guichet unique automobile, qui a entraîné un manque à gagner de plusieurs milliards à l’État ivoirien et impliqué des personnalités de renom.

Abstraction faite des concours de la fonction publique qui se monnayent au prix fort, des pots de vin liés à la passation de certains marchés publics, du racket policier ou encore de l’extorsion de fonds aux patients dans nos hôpitaux, le citoyen lambda ne sait plus où donner de la tête, partagé qu’il est entre colère et fatalité.  

En dépit du durcissement de la législation en matière de répression des faits de corruption et de la mise en place de structures dédiées à la lutte contre ce fléau (haute autorité pour la bonne gouvernance, autorité de régulation des marchés publics, brigade de lutte contre la corruption, brigade de lutte contre le racket…), la corruption, la concussion prospère, elle se banalise, elle, se normalise. Au-delà des incantations publiques, des professions de foi du chef de l’État à combattre le fléau de la corruption, tout porte à croire que le président Ouattara a les mains liées par ses conditions d’accession au pouvoir.

Un chef d’État, otage de ses alliances politiques et du retour d’ascenseur à ses fidèles

Il faut se l’avouer, les conditions d’accession au pouvoir du président Ouattara ont été pour le moins laborieuses. Soutenu par une rébellion armée, par une coalition de partis houphouétistes (le RHDP) et par la présence indéfectible de nombreux cadres de son parti qui ont tout sacrifié sur l’autel de son accession au pouvoir, le président ivoirien se voit dans l’obligation de remercier tout ce personnel politique et militaire à travers leurs nominations à des postes de responsabilité. Même allant jusqu’à fermer les yeux  sur leurs pratiques corruptives.

Jusqu’à ce jour aucun ponte du régime n’a été écroué pour faits de corruption, et pourtant Dieu seul sait si nombre d’entre eux devraient être derrière les barreaux pour enrichissement illicite, gabegie et abus de biens sociaux. Des nouveaux riches dont la fortune ne bénéficie d’aucune traçabilité hormis leur appartenance au régime actuel.

Gageons tout simplement que le président qui est au bout de sa seconde mandature passe à l’offensive contre cette gangrène, qu’il prenne des sanctions vigoureuses et courageuses  contre ces fossoyeurs en col blanc de notre société. Mais pas seulement ! Il faut aussi une véritable reconversion des mentalités dans le sens de l’instauration d’une véritable culture de l’intérêt général, du bien public. D’ici là, la vie sous les latitudes ivoiriennes se déroule entre  petite corruption et enrichissement illicite au sommet de l’État.


LES CINQ PÉCHÉS CAPITAUX DE LA SOCIÉTÉ IVOIRIENNE !

   En dépit des belles performances macro-économiques enregistrées par la Côte d’Ivoire (au moins 8% de taux de croissance depuis 2012), elle reste laminée par des tares structurelles d’une gravité inouïe, que je qualifie de péchés capitaux ou de menaces existentielles car elles doivent être conjurés, sous peine de faire chavirer le navire Ivoire.

Aux  premières loges de ce ‘’top 5’’ des péchés capitaux, figure le déficit d’unité nationale. S’il est un chantier sur lequel le régime du président Ouattara a avancé le moins durant ses deux mandatures, c’est incontestablement celui de la réconciliation nationale. Les effets cumulatifs de plus d’une décennie de crise militaro-politique ont déstructuré le tissu social. Ce dernier a tellement été abîmé que certains ivoiriens nourrissent encore l’idée d’un match retour – entendez une seconde confrontation armée – entre partisans de Laurent Gbagbo (dont beaucoup n’ont pas digéré la perte du pouvoir d’État) et affiliés de l’actuel camp présidentiel. Les récriminations, les rancœurs, les ressentiments liés à la crise post-électorale sont encore présentes, les plaies béantes liées à cet épisode tragique de notre pays ont été cautérisées, mais pas cicatrisées. Les actions initiées par les pouvoirs publics pour l’instant ne sont pas à la hauteur des attentes liées à ce vaste chantier qu’est la réconciliation nationale, préalable à tout véritable développement.

Le corollaire de ce déficit d’unité nationale nous renvoie à la seconde gangrène de la société ivoirienne, que j’appelle la forte ethnicisation du jeu électoral. En effet, sous les latitudes ivoiriennes, chaque leader politique à ses ‘’électeurs naturels’’, son ‘’bétail électoral’’, selon qu’il soit originaire de telle ou telle ethnie. Une forte tribalisation du jeu électoral qui dénote à l’évidence d’un manque de maturité démocratique sous nos tropiques ivoiriens. Ainsi le président Ouattara recrute-t-il massivement ses électeurs dans la partie Nord du pays, d’où il est originaire. Cela vaut aussi pour Bedié, qui s’adjuge les voix du centre, Gbagbo Laurent, celles du centre-ouest ou encore Mabri Toikeuse qui rafle celles de l’ouest. Au-delà de la présence marginale de militants de différents bords ethniques dans certains partis politiques, le vote comme le jeu politique en général reste largement tributaire de la carte ethnique ou communautaire en terre ivoirienne. Tout porte à croire que la présidentielle à venir ne dérogera pas à cette triste réalité. Au niveau du gros de la troupe (les masses sociales ivoiriennes), cette problématique pourrait se résumer en ces termes : dis-moi ton ethnie, je te donnerai le nom de ta chapelle politique.

A côté de ces deux écueils qui fragilisent la société ivoirienne, un autre, non moins important, est celui de la violence. Le constat s’impose aujourd’hui avec la force de l’évidence : la violence se banalise en terre ivoirienne. Abstraction faite des pires atrocités liées à la crise post-électorale en 2010 (avec à la clé plus de 3000 morts), la violence s’instille, se distille durablement dans toutes les strates de la société ivoirienne, au point de devenir un véritable référent. Jamais dans l’histoire de notre pays, la violence n’a été aussi prisée pour résoudre les conflits sociaux. Tout se passe comme si la violence était instituée par les membres du corps social comme l’unique mode d’expression face aux tensions sociales. C’est un secret de polichinelle, en terre ivoirienne : quand on n’est pas content, on casse, on saccage, on brûle, on s’en prend aux symboles de l’État, et comme on le dit de manière triviale à Abidjan « ça ne va pas à quelque part », comprenez qu’il n’aura aucune sanction ou suite judiciaire liée à ces actes. Une véritable culture de la violence qui déteint jusqu’en milieu scolaire.

A ce sombre tableau s’ajoute malheureusement la course à l’enrichissement illicite. Malheureusement, le changement de régime en 2011 n’y aura rien fait. Pire, le phénomène de corruption, de concussion ou de prévarication fait aujourd’hui figure de véritable fléau national. Nos ministères et nos administrations se sont transformés en véritables nids de la corruption. Entre pots de vins liés à la passation des marchés, détournements de fonds publics, abus de biens sociaux, vente des concours d’entrée à la fonction publique et rackets des forces de l’ordre… chacun veut prendre « sa part du gâteau », et c’est peu que de le dire. Tous ceux qui possèdent une parcelle de pouvoir,  y compris les « sans grades », veulent s’en mettre plein les poches. L’enrichissement illicite semble être le maître mot, un véritable sport national. Signe des temps, la classe des nouveaux riches compte de nombreux pontes du régime, à la tête des institutions, des ministères, des régies financières… Ceux-là font du pouvoir une véritable mangeoire. Et le plus dramatique est l’inaction du chef de l’Etat. L’incurie est aussi assourdissante que révoltante. En dépit des nombreux scandales financiers qui entachent l’exercice de son pouvoir, aucun baron du régime ne s’est pas encore retrouvé derrière les barreaux. Dieu seul sait s’il devait s’y trouver par dizaines, tant il est vrai qu’aujourd’hui l’enrichissement illicite s’est érigé en mode de fonctionnement dans de nombreux départements ministériels.

Enfin, nous ne saurons clore ce ‘’top cinq’’ des péchés capitaux qui gangrènent la société ivoirienne sans relever l’incivisme ambiant qui prévaut aujourd’hui en terre ivoirienne. Le constat est sans appel, l’incivisme est présentement un marqueur important de la société ivoirienne. L’ivoirien en général a peu ou pas d’intérêt pour la chose publique, pour les règles qui président l’espace public. Du mépris des règles de circulation routière en passant  par l’inobservation des règles d’urbanisme ou encore la transformation de nos rues en poubelles et l’occupation anarchique de l’espace public, on est en droit de se demander si la notion de chose publique a encore un sens. L’une des conséquences les plus dramatiques de cet incivisme notoire a été la survenue des dernières inondations à Abidjan. En effet, les constructions anarchiques sont légion au mépris des règles les plus élémentaires de construction et d’urbanisme. On édifie des constructions sur les ouvrages d’assainissements qui doivent servir justement à réguler et évacuer l’eau de ruissellement de pluie. Les servitudes, les emprises sont occupées systématiquement, tant et si bien que la ville d’Abidjan s’est transformée aujourd’hui en véritable espace immobilier et marchand où le plus petit mètre carré est âprement discuté. Les populations sont passées maîtresses dans l’art de transformer les caniveaux en dépotoirs, avec pour conséquence d’empêcher le passage des eaux qui, en cas de forte pluie, dévalent inévitablement dans les habitations et sur les routes.

En un mot comme en mille, il urge de solutionner ces maux précités afin que la Côte-d’Ivoire puisse se diriger vers des rivages beaucoup plus heureux.


VICTOIRE DES BLEUS : « L’AUTRE NOM DE LA FRANCE, C’EST LA DIVERSITÉ ! »

La formule est de l’historien français Fernand Braudel. Elle cristallise à elle seule l’identité réelle de la France c’est-a-dire un pays d’immigration profondément pluriel ou composite… L’épopée de la France durant ce mondial 2018, permise notamment grâce à l’apport important de ses cadors d’origine africaine (M’bappé, Umtiti, Pogba, N’Golo Kanté, Matuidi, N’zonzi, Dembelé, Sidibé pour ne citer que cela) est un pied de nez à cette partie de la France raciste, sectaire et réactionnaire. Une bonne réponse à cette partie de la France qui a cédé aux sirènes du populisme, du repli identitaire, que dis-je, au nationalisme de bas étage qui considère à tort les migrants comme des ennemis de l’intérieur.

Et pourtant, ce sont ces ‘’nègres’’, enfants et petits-enfants d’immigrés et banlieusards, qui ont essentiellement porté la France, et lui ont permis pour la seconde fois d’être sur le toit du monde. La sélection française partie en Russie était composée de 14 noirs et de deux maghrébins… autant le dire, c’était une équipe africaine. Une présence massive de joueurs de couleurs pour ce mondial, qui, loin d’être un cas isolé, est une tendance lourde dans les sélections françaises (athlétisme, handball, basket, judo…). Mais la musique, le théâtre, le cinéma, la littérature et que sais-je encore regorgent aussi de ces français de couleurs qui porte fièrement et brillamment l’étendard de la France sous toutes les latitudes.

Il faut se le dire clairement, la France doit rompre avec cette logique opportuniste de « l’immigration choisie ». Elle doit cesser de profiter uniquement des talents de couleurs, tout en peinant à accorder la pleine reconnaissance à ces millions de Français d’origine africaine, qui, pour le gros de la troupe, appartiennent à la France invisible, à la France de l’ombre.

On ne dira jamais assez, la France intrinsèquement, c’est la mixité raciale, sociale, c’est le multiculturalisme. Elle n’est belle que lorsqu’elle est parée de toutes ses couleurs black, blanc, beur. Comme le rappelle avec raison Amadou Hampaté Ba « la beauté du tapis tient à la diversité de ses couleurs ».


SYSTEME EDUCATIF IVOIRIEN : LE FLEAU DE LA POLITIQUE DU CHIFFRE !

 

C’est un secret de polichinelle sous les latitudes ivoiriennes, l’actuel chef d’Etat Alassane Ouattara (économiste de son état, ancien gouverneur de la BCEAO et ancien DGA du FMI) éprouve une vive inclination voire une fascination pour les chiffres. Tant et si bien que tout son gouvernement s’est jeté à corps perdu dans une course effrénée aux résultats statistiques pour satisfaire « le grand manitou », quitte à tronquer la réalité. La critique est déjà acerbe concernant l’économie ivoirienne qui culmine à environ 9% de taux de croissance depuis 2012 (de quoi faire pâlir d’envie de nombreux pays européens à la croissance en berne), sauf qu’à l’épreuve des réalités concrètes, cette croissance semble être un simple agrégat de chiffres, elle semble être l’arbre qui cache la forêt des difficultés existentielles qui assaillent les masses laborieuses ivoiriennes. Entre inflation galopante, difficultés énormes à se nourrir, à se loger, à se soigner… en somme à couvrir ses besoins basiques, le citoyen lambda ivoirien  ne s’est plus ou donner de la tête. Les récriminations sociales se multiplient avec à la clé cette boutade populaire « on ne mange pas la croissance ! ».

Malheureusement, cette politique à outrance du chiffre s’étend aussi à un domaine aussi sensible que celui de l’éducation nationale. Sans vouloir être négateur de  l’effort infrastructurel et de l’effort de recrutement en personnels consentis par les pouvoirs publics actuels, il reste que le niveau de l’école ivoirienne en termes de qualité de la formation n’a jamais été aussi bas. Le constat est sans appel, le niveau des apprenants ivoiriens est incroyablement bas. Comme si tous les enseignants s’étaient passés le mot pour reprendre en chœur cette tragique réalité, et tout porte à croire que le ministère de l’éducation nationale soit pour beaucoup dans cette formation au rabais, dans ce nivellement vers le bas que connaît le système éducatif ivoirien. En effet, mû par la volonté incompressible de faire du chiffre pour s’assurer la confiance du président de la République, le ministre de l’éducation nationale s’est lancé tout azimut dans une politique que je qualifierais » d’ouverture des vannes » pour avoir les « meilleurs résultats scolaires » possibles, ainsi, les redoublements et les exclusions d’élèves sont de moins en moins tolérés par les directeurs régionaux de l’éducation nationale. A ce titre, la consigne est stricte, faire passer le maximum d’élèves en classe supérieure (abstraction faite du niveau réel des apprenants),  de sorte que les conditions d’admission à l’entrée en 6ième ont été quasiment supprimées, des milliers d’élèves se retrouvent au collège sans véritables fondamentaux ou pré requis. Cela vaut aussi pour le BEPC (examen d’entrée au secondaire) qui faire figure de passoire aujourd’hui, tous les coefficients des matières ont été ramenés à un, de sorte que de nombreux apprenants décrochent ce diplôme sans acquis véritables. Durant cette session du BEPC 2018, le ministère a même poussé l’audace jusqu’à reprendre les délibérations en l’absence  des professeurs- du moins dans la zone de Gagnoa ou j’officie- en abaissant le nombre de points requis au départ à l’effet d’atteindre les 60% de taux de réussite nationale fièrement proclamés par ses soins. Ce constat de la poursuite effrénée des chiffres est encore plus vrai à l’aune de la politique d’ACP (approche par compétence) introduite par le ministère, qui consiste en une ultra simplification  des contenus scolaires, avec à la clé des évaluations très transparentes en formes de questions réponses, de questions à choix multiples… qui n’incitent pas réellement les apprenants à cultiver le goût de l’effort. La ‘’qualité’’ des sujets aux différents examens témoigne également de cette volonté manifeste de faire du chiffre. Tenez, pour la session du baccalauréat 2017 série A2, à la lecture des différents sujets proposés en philosophie, notamment en dissertation, nous sommes restés sans voix (mes collègues de philosophie et moi) face à ces sujets très transparents ou linéaires qui n’appelaient qu’une simple récitation du cours de la part des apprenants. Sur le moment, je n’ai pas manqué d’exprimer mon indignation en affirmant que même en devoir de classe, il ne m’arrivera jamais à l’esprit de proposer une telle évaluation. Ou va l’école ivoirienne avec de tels procédés ? Ce constat amer vaut aussi pour le supérieur. A juste titre d’ailleurs, l’école ivoirienne s’est transformée en une immense fabrique à chômeurs, des milliers étudiants bardés de diplômes mais sans qualification réelle. Loin de moi, la volonté de vouloir militer pour une hyper complexification des contenus scolaires et des différents examens, mais de là à poursuivre frénétiquement des résultats statistiques à travers une politique du chiffre qui met dangereusement en péril l’école ivoirienne, mon opinion est toute faite : mettre des tours de vis, revenir à la rigueur, à la sélection, à la qualité de l’enseignement et du niveau des examens d’antan. Voilà une des conditions essentielles  que les pouvoirs publics ivoiriens doivent intégrer pour renouer avec le fil de l’excellence scolaire.


INONDATIONS MEURTRIЀRES À ABIDJAN : J’ACCUSE !

Les images sont renversantes, à la limite de l’apocalypse : jusqu’à 2,5 m d’eau par endroits, des immeubles effondrés, une vingtaine de personnes emportées, des dizaines de voitures charriées par la puissance des flots, des dégâts matériels à perte de vue, un amoncellement indescriptible de gravats et de détritus… Bref, c’est une scène de désolation qu’Abidjan a présentée au lendemain de la pire inondation qu’elle ait connue. Une semaine après, l’émotion n’est toujours pas retombée, la population ivoirienne est toujours sous le choc, partagée entre consternation et colère. On s’explique difficilement que sous d’autres latitudes, on puisse enregistrer de tels niveaux de pluviométrie sans avoir à la clé un tel décompte macabre -20 morts- et un tel niveau de destructions matérielles. Notons à ce titre qu’un immeuble à plusieurs étages s’est effondré. Au delà du concert d’émotions (pleurs, douleurs) et d’indignation que ce drame  suscite, il faut aujourd’hui situer les responsabilités, à commencer par celle de l’Etat.

-UNE INACTION COUPABLE

Ce drame vient une fois de plus jeter une lumière crue sur le laxisme coupable, que dis-je, la corruption qui gangrène l’administration ivoirienne. C’est un secret de polichinelle, nos ministères se sont transformés en véritables nids de prédation financière. Et le ministère de tutelle, en l’occurrence celui de la construction et du logement, n’y échappe pas. Des permis de construire sont délivrés de manière indue, bien entendu contre forte rémunération, au mépris des règles d’urbanisme. Les agents du ministère ferment les yeux sur certaines constructions  établies sur des ouvrages d’assainissement (bouches d’égouts, caniveaux), alors qu’elles obstruent considérablement le passage des eaux de ruissellement et entraînent d’importantes remontées d’eau dans les habitations. C’est sans compter encore les zones à risques (bassins orageux, flancs de collines…) qui font l’objet de constructions dans l’incurie la plus assourdissante du ministère de la construction. Ce manque d’actions préventives de la part des pouvoirs publics a contribué à la survenue d’un si lourd bilan macabre.

La formule est bien connue : gouverner c’est prévoir, c’est anticiper, c’est planifier, mais cela a terriblement manqué aux autorités ivoiriennes. Même le niveau de riposte, l’organisation des secours et la prise en charge des victimes ont connu des insuffisances. Les deux milliards de FCFA déboursés sur instruction du président Ouattara pour aider les victimes et le fait d’écourter sa visite en France pour se rendre sur les lieux du sinistre ne pèsent pas grand-chose dans la balance de l’énorme responsabilité qui est la sienne.

Cependant, l’incivisme des populations n’est pas non plus étrangère à la survenue de cette tragédie.

-UN INCIVISME NOTOIRE DES POPULATIONS

Le constat est sans appel, l’incivisme est aujourd’hui un marqueur de la société ivoirienne. L’ivoirien en général a peu ou pas d’intérêt pour la chose publique, pour les règles qui président l’espace public. Les constructions anarchiques sont légion, au mépris des règles les plus élémentaires de construction et d’urbanisme. On édifie des constructions sur les ouvrages d’assainissements qui doivent servir justement à réguler et évacuer l’eau de pluie. Les servitudes, les emprises sont occupées systématiquement, tant et si bien que la ville d’Abidjan s’est transformée aujourd’hui en véritable espace immobilier et marchand, où le plus petit mètre carré est âprement discuté. Les populations sont passées maîtresses dans l’art de transformer les caniveaux en dépotoirs. Cela empêche le passage des eaux, qui, en cas de forte pluie, dévalent inévitablement dans les habitations privées et sur les routes. A ce titre, l’exemple le plus patent est le carrefour de l’Indenié – à l’intersection du quartier du Plateau, d’Adjamé et de Cocody- qui se retrouve sous les eaux à chaque orage. Tous les régimes successifs ivoiriens ont échoué à trouver des solutions durables à cette ‘’énigme’’, et ce n’est pas faute d’avoir essayé. Les pouvoirs publics actuels ont investi des milliards dans des infrastructures en amont – construction de barrages érecteurs, de bassins d’écoulement des eaux…-, mais rien n’y fait. La cause essentielle étant le déversage des déchets solides de la part des populations riveraines dans ces infrastructures d’évacuation d’eaux, qui favorisent la remontée des eaux à chaque forte pluie à la surface du bitume.

Cette tragédie commande des pouvoirs publics des mesures vigoureuses et courageuses dans le sens d’une meilleure application des règles de construction et d’urbanisme. Un épineux chantier qui commence d’abord par la démolition sans état d’âme des habitations, des commerces et autres édifices qui empêchent le ruissellement des eaux de pluie. Mais aussi par la destruction des constructions anarchiques, à flancs de colline, dans des bassins orageux ou autres habitations situées dans des zones à risques. Les populations ont aussi leur partition à jouer, elles doivent procéder à un changement radical de comportements en se pliant aux règles de construction et en adoptant des gestes éco-citoyens. C’est à ce prix que pareille tragédie pourrait être conjurée à l’avenir.


PERSONNEL DE SANTÉ IVOIRIEN : VOUS AVEZ DIT LE SERMENT D’HIPPOCRATE OU D’HYPOCRITE ?

Sans vouloir jeter l’anathème sur l’ensemble du personnel de santé ivoirien, il n’en reste pas moins que ce corps d’activité reste profondément gangrené par de nombreuses pratiques corruptrices ou prédatrices. On est à mille lieux de l’humanité et du souci du patient qui devrait être son apanage, tant ce milieu s’est transformé en repère d’affairistes, en véritable nid de corruption.

Abstraction faite des réseaux de détournements des médicaments, des réactifs en laboratoire et de la vente du matériel médical à l’occasion, je voudrais m’appesantir sur ce qu’il est convenu d’appeler ‘’le phénomène d’extorsion d’argent aux patients et aux parents de patients’’. Une pratique qui a atteint des sommets inimaginables et qui se banalise sous nos latitudes, avec pour conséquence majeure d’entraîner la désaffection des masses sociales de nos centres de santé. Car c’est une vérité qui s’impose avec la force de l’évidence : avoir un malade interné dans une structure sanitaire ivoirienne, surtout celles d’Abidjan, c’est la porte ouverte à la saignée financière. Entre ordonnances fantaisistes, analyses médicales très souvent majorées, coûts surfacturés des opérations chirurgicales et pots de vin à donner pour être sûr que son malade bénéficie d’une certaine ‘’qualité’’ de soins, des parents de patients à bout de souffle financier en viennent à soustraire leur malade de nuit de l’hôpital, quitte à ce que dernier passe de vie à trépas à la maison. Des parents et patients rendus exsangues financièrement par tant de pratiques non orthodoxes. Déjà rongés par l’anxiété liée à l’état de santé de leurs malades, ces proches doivent encore faire face à l’affairisme ambiant qui prévaut dans nos structures sanitaires. Une situation qui s’apparente à une double peine.

-LA DOUBLE PEINE

Un ami me confiait récemment que suite à l’hospitalisation de son père au CHR de Gagnoa (au centre ouest de la Côte-D’Ivoire) et son admission au service de réanimation, les médecins avaient exigé 100.000 FCFA pour acheter les médicaments nécessaires au traitement du patient. Lorsqu’il a pu accéder à la salle de réanimation, il a constaté qu’en tout et pour tout, seule une perfusion avait été administrée à son père. D’ailleurs, ce dernier a succombé à son mal quelques jours après. Ayant réalisé la supercherie, il s’est plaint auprès du médecin traitant, mais en vain….

Loin d’être isolée, cette pratique d’extorsion de fonds est largement répandue. Elle n’est pas sans rappeler en 2015 l’affaire Awa Fadiga, du nom de cet ex-mannequin ivoirien, agressée grièvement et admise aux urgences du CHR de Cocody. Elle y avait succombé à ses blessures faute de soins, ou plus précisément faute d’argent. En effet, très généralement la célérité de la prise en charge dans les structures de santé est fonction du pouvoir financier du patient (sa capacité à payer rubis sur ongle ce que le corps médical exige) ou de sa connaissance d’un membre du personnel de santé qui peut jouer de son statut pour trouver rapidement un lit d’hospitalisation au patient et ramener avec diligence au chevet de celui un infirmier ou un médecin. Malheureusement, Awa Fadiga n’avait ni l’un ni l’autre, et ce qui devait advenir se produisit : la mort. Le scandale a été si retentissant qu’il a valu son poste au directeur général du CHR de Cocody. Malheureusement, trois ans après cet épisode dramatique, les choses n’ont pas véritablement changé. C’est en tout cas le ressenti populaire. Pour preuve, le vigile de notre établissement m’a relaté comment, dans la foulée des fêtes de fin d’année, il avait piqué une crise en pleine nuit et avait fait le tour de son quartier à la recherche d’une clinique. Étonné par cette attitude, je lui demandais pourquoi il n’avait pas pris simplement le chemin de l’hôpital public, a priori beaucoup plus sûr en termes de qualité de soins que ces cliniques de bas étage de quartier. Sa réponse fut sans appel : « j’étais sans le sou et je savais qu’au moins, je serai pris en charge à la clinique d’abord, et je m’acquitterai des frais médicaux ensuite, ce qui n’est pas le cas dans les hôpitaux publics où il faut commencer par payer ».

Ajoutées à la précarité financière ambiante, ces pratiques répréhensibles du corps médical entraînent une certaine désaffection des masses sociales d’avec les structures sanitaires. La rupture est telle que les masses laborieuses se tournent prioritairement vers les naturothérapeutes (les guérisseurs traditionnels), faisant ainsi de l’hôpital un choix par défaut. Cependant, loin d’être l’apanage du seul corps sanitaire, la corruption est aujourd’hui une des choses les mieux partagées au sein de la société ivoirienne.

-LA CORRUPTION : UN SPORT NATIONAL

Malheureusement, le changement de régime advenu en 2011 n’y a rien fait. Pire, le phénomène de corruption, de concussion ou de prévarication fait figure aujourd’hui de véritable fléau national. Nos ministères, et en général nos administrations se sont transformés en nids de la corruption. Entre pots de vins liés à la passation des marchés, détournements de fonds publics, abus de biens sociaux, vente des concours d’entrée à la fonction publique et rackets des forces de l’ordre… Chacun veut « sa part du gâteau », et c’est peu de le dire. Tous ceux qui possèdent une parcelle de pouvoir,  y compris les « sans grades « , veulent s’en mettre plein les poches. L’enrichissement illicite semble être le maître mot, un véritable sport national. Signe des temps, la classe des nouveaux riches compte de nombreux pontes du régime, à la tête des institutions, des ministères, des régies financières… faisant du pouvoir une véritable mangeoire. Le plus dramatique, dans tout ça, est l’inaction du chef de l’Etat. Une incurie aussi assourdissante que révoltante. En dépit des nombreux scandales financiers qui entachent l’exercice de son pouvoir, aucun baron du régime ne s’est encore retrouvé derrière les barreaux. Et Dieu seul sait qu’ils devraient s’y trouver par dizaines, tant il est vrai qu’aujourd’hui l’enrichissement illicite s’est érigé en mode de fonctionnement dans de nombreux départements ministériels. Le chef de l’Etat semble en tout cas avoir trouvé la parade : en guise de mesure en cas de détournements de fonds, il procède à de simples remplacements des mis en cause, sans suites judiciaires (ou avec des suites qui de toute manière n’aboutissent jamais).

Ainsi va la vie sous les latitudes ivoiriennes, entre petite corruption et enrichissement illicite au sommet de l’Etat.

 


BRASSERIES IVOIRIENNES : LA GUERRE DE LA BIÈRE EST ENGAGÉE, LA JEUNESSE PRISE EN OTAGE !

C’est un euphémisme de le dire, les brasseries ivoiriennes se livrent aujourd’hui une guerre sans merci avec pour cœur de cible la jeunesse. A coups de lynchages médiatiques (spots télé, radio, gadgets, affiches géantes, encarts publicitaires, panneaux publicitaires, animations publiques….), les acteurs du secteur de la bière ivoirienne ne ménagent aucun effort pour conquérir des parts de marché, pour ravir le cœur des consommateurs, surtout des plus jeunes.

En effet, l’arrivée d’un nouvel acteur de la bière en l’occurrence, la société Brassivoire a ouvert les hostilités avec le leader traditionnel du marché ivoirien, Solibra, filiale du groupe Castel. Celle-ci est aussi aux prises avec le géant néerlandais Heineken, actuellement en pleine implantation dans la sous-région, dans laquelle il est entré par la Côte-d’Ivoire. En un mot comme en mille, le secteur de la bière attise les convoitises sous les latitudes ivoiriennes, et d’autres groupes d’envergure mondiale seraient sur les rangs pour profiter de la manne de l’or gris. Au-delà du bouillonnement perceptible dans le secteur de la bière, c’est surtout les pratiques qui flirtent souvent avec le racolage des jeunes et une politique agressive d’incitation à la consommation d’alcool qui interpellent, à plus d’un titre.

LA JEUNESSE : LE RISQUE DE DÉPENDANCE À L’ALCOOL

C’est bien connu, la jeunesse a toujours constitué le cœur de cible des industries. De l’industrie du tabac à celle de l’automobile, les arguments de vente ont été de tout temps dirigés principalement vers la jeunesse. L’industrie de la bière ne déroge donc pas à la règle. Cependant, cela est encore plus vrai sous les tropiques ivoiriens où les acteurs du secteur de la bière semblent s’être lancés dans une véritable campagne séduction tous azimuts pour développer une culture de la consommation de l’alcool au sein de la jeunesse, non sans créer le risque d’une addiction au terrible impact social et sanitaire. Au-delà de la guerre des prix, celle des images fait rage : chaque acteur voulant s’identifier à la jeunesse ivoirienne use de publicités aguichantes ou de jeunes filles et garçons sont mis en scène en train de picoler avec délectation. Non seulement ces publicités passent en boucle sur la chaîne nationale, mais elles inondent aussi les rues abidjanaises. Même la super star ivoirienne de football Didier Drogba a été mis à contribution : un important acteur de la bière l’a payé pour qu’il mette son image au profit de la promotion de sa gamme de produits. Ainsi d’énormes affiches à l’effigie du joueur ivoirien fleurissent à Abidjan, le slogan : « ma bière, c’est Bock ! » faisant référence à la bière dont il défend « les couleurs ». Ces brasseries ont créé un maillage publicitaire de la capitale si impressionnant qu’on ne peut plus faire 100 mètres sans croiser une affiche géante. Et celles-ci invitent à la consommation d’alcool, présentée comme l’expression de la classe, de l’élégance, de la joie de vivre… très certainement un appel du pied à l’endroit de la jeunesse ivoirienne.

Il y a fort à parier qu’il existe une corrélation entre cette forte sollicitation médiatique de la jeunesse à consommer de l’alcool et l’alcoolisme qui se répand dans les rangs de la société ivoirienne. C’est une image banale, aujourd’hui, que de trouver de jeunes ivoiriens attablés autour de bouteilles de bière, aussi bien durant les jours ouvrés que les week-ends. À titre d’exemple de cette déferlante de la bière dans les habitudes de consommation ivoiriennes, deux expressions sont passées dans le langage familier : « aller prendre une bière » ou « donner l’argent de la bière » suite a un service rendu. Des expressions consacrées, qui fleurissent en permanence sur les lèvres des ivoiriens, surtout des plus jeunes, et en disent long sur l’ampleur de ce phénomène des temps nouveaux. Le risque, bien réel : une addiction massive de la jeunesse ivoirienne à l’alcool.

Sans vouloir jeter l’anathème sur les maquis (argot ivoirien pour désigner les cabarets),  ceux-ci constituent tout de même les points de ralliement d’une bonne partie de la jeunesse ivoirienne, et de véritables lieux de beuverie. Avec ces fêtes vient le risque d’avoir des ivoiriens plus noceurs que bosseurs, agglutinés dans les liens de la dépendance à l’alcool. Le phénomène est si prégnant que la musique urbaine ivoirienne (Zouglou) s’en est saisie : la chanson devenue culte du groupe Révolution s’intitule « je bois plus ! », autrement dit je ne consomme plus d’alcool, histoire de mettre sous les projecteurs l’explosion de l’alcoolisme en terre ivoirienne et de sensibiliser sur les graves conséquences liées à l’état d’ébriété.

-UN SILENCE ASSOURDISSANT DES POUVOIRS PUBLICS

On serait tenté de se demander ce que fait l’État, de son côté, contre cette campagne agressive d’incitation à la consommation : rien ou presque ! Tout porte à croire que le gouvernement ivoirien se soucie plus des rentrées financières auprès des brasseries que de leurs pratiques d’implantation ou d’expansion, fussent-elles dangereuses pour la jeunesse. D’ailleurs, pour la nouvelle annexe fiscale, il vient de relever le taux d’imposition sur les produits alcoolisés à environ 20%.  L’une des preuves les plus édifiantes de ce désintérêt des pouvoirs publics relativement aux pratiques peu « orthodoxes » des acteurs de la bière,   réside en la transformation de la RTI (radio télévision ivoirienne, qui est un média d’État) en plate forme de promotion incessante à la consommation de l’alcool. Quand on sait que ces brasseries installées en terre ivoirienne sont de calibre mondial, et qu’elles ne lésinent pas sur les moyens financiers pour polir leur image et aguicher la jeunesse, la RTI s’assure des revenus importants liés aux passages en boucle de leurs spots publicitaires que dis-je de leur déferlante publicitaire, quitte à mettre en partie au placard sa mission d’éducation des populations ivoiriennes. La rentabilité financière l’emporte très largement sur l’exigence d’éducation des masses sociales contenue dans son cahier de charge.

L’intention, ici, n’est pas que ce média d’État devienne puritain ou ultra rigoriste, mais qu’il fasse preuve de retenue face à l’agenda médiatique des brasseries. En tant que média public de grande audience, la télévision ivoirienne ne peut pas se laisser guider uniquement par l’appât du gain, et laisser prospérer ce lynchage publicitaire sur nos écrans. Après tout, les adolescents, qui sont en phase de construction psychique et qui constituent une bonne frange de la population, pourraient facilement se laisser convaincre par le discours racoleur de ces campagnes incessantes. Malheureusement, de plus en plus d’entre eux franchissent le pas de la consommation de l’alcool. Signe des temps, la gente féminine n’est pas en reste de ce phénomène de consommation massive de l’alcool. Il semble révolu le temps où  les jeunes filles se contentaient de prendre de la sucrerie lorsqu’elles étaient invitées à prendre un pot, aujourd’hui elles lèvent le coude (picolent) aussi bien que les hommes, sinon mieux souvent. Pour s’en convaincre, il suffit juste de faire un tour au niveau des maquis et des boîtes  de nuits situés dans les quartiers chauds d’Abidjan comme Yopougon, Adjamé, Abobo… Indistinctement, hommes et femmes s’y adonnent  à de véritables beuveries.

Vivement que l’Etat mette la pédale douce aux opérations médiatiques qui ont cours, aussi bien dans nos médias publics que dans les rues abidjanaises. Il en va de sa responsabilité et de l’avenir de notre jeunesse.