Seydou KONE

Violences au Capitole : qui a dit que l’Afrique a le monopole de la bêtise politique ?

Les images sont surréalistes, hallucinantes, ébouriffantes. Le cœur battant de la démocratie américaine, le saint des saints, le Capitole, en proie à l’assaut des partisans de Donald Trump. Des scènes aussi incroyables que déstabilisantes. Vues d’Afrique, on se perd en conjectures. Et l’on se gargarise en partie à bon droit des déboires de la démocratie américaine. Les rues africaines réalisent que les tensions postélectorales, avec leur lot de dérives, ne sont pas l’apanage de certains états africains. Elles s’invitent aussi au cœur «  des plus grandes démocraties ».

Le Capitole, à Washington D.C., est le symbole de la démocratie américaine

Les Etats-Unis, garants fragiles de la démocratie

La grande Amérique, encline à donner des leçons de démocratie sur le continent africain et à l’échelle du monde en général, est empêtrée dans des contestations électorales. Elles culminent, allant jusqu’au déni du verdict des urnes par le président sortant. À la clé : cinq morts enregistrés dans l’un de ses plus hauts lieux de pouvoir que constitue le Capitole.

Des faits de violences dignes des républiques bananières, qui attestent des fragilités fonctionnelles  liées aux supposées grandes démocraties. Une poussée de la violence qui tranche avec les mœurs policées ou aseptisées que ces démocraties centenaires devraient entretenir. Le moins qu’on puisse dire est que est le poids des siècles de pratique démocratique dans certains pays, n’a pas permis de se débarrasser définitivement des oripeaux de la violence politique.

La bienséance doit gouverner le champ politique

Déjà, la France s’était illustrée lors de certaines manifestations des gilets jaunes. Elles avaient tourné aux saccages, aux casses, aux pillages, donnant l’impression d’un Paris à feu et à sang. Un épisode d’un «niveau de violence extrême et inédit », avait relevé le préfet de police de Paris, le 3 décembre 2018. Une éruption de la violence aux antipodes des idéaux de la démocratie. Cette violence était cristallisée dans cette idée : substituer l’argument de la force ou de la violence à la force de l’argumentation, à la culture du débat.

Le champ politique, au-delà d’être un lieu de rivalité ou d’adversité, est assujetti à des règles de bienséance en démocratie. De ce fait, on ne résout pas ses différends politiques à coups de tentatives de renversements d’élections. Les États-Unis, qui se perçoivent comme le phare de la démocratie occidentale, gagneraient donc à plus d’exemplarité. Pour sûr, ces dérapages au Capitole enlaidissent la démocratie américaine, la couvrent de ridicule, la souillent. Gageons que l’arrivée prochaine du 46ème   locataire du bureau ovale marque un renouveau démocratique à mille lieues des incartades, des frasques politiques ubuesques  du président sortant.


Côte d’Ivoire : au secours, l’élection présidentielle arrive…

Crédits photo : Iwaria

C’est bien connu sous les tropiques ivoiriens, depuis la décennie 2000, l’élection présidentielle constitue un moment social fortement anxiogène, abrasif voire mortifère. Une séquence politique particulièrement redoutée des ivoiriens et des institutions internationales au vu de la mission conjointe de la CEDEAO (Communauté économique des Etats de l’Afrique de l’Ouest), de l’Union Africaine et de l’ONU récemment dépêchée à l’effet de renouer le fil du dialogue entre toutes les parties prenantes du processus électoral.

Prévue constitutionnellement pour le 31 octobre 2020, l’élection présidentielle se rapproche à grands pas, et avec son lot de hantises et de scénarios apocalyptiques. Elle cristallise toutes les inquiétudes, et cela à bon droit. En effet, les affres de la crise post-électorale de 2010 – plus de 3000 morts, une récession économique, des saccages en tous genres- sont encore présents dans les esprits. Il faut bien le dire, la Côte d’Ivoire a été marquée au fer par cette crise post-électorale de 2010, tant et si bien que dix ans après, les plaies béantes – surtout psychologiques – qu’elle a laissées sont loin d’être cicatrisées.

Tout se passe comme si le temps semble s’être arrêté en terre ivoirienne, et avec, le ralentissement des activités économique. Une psychose sociale entretenue aussi et surtout par le climat politique actuel, qui n’incite guère à l’optimisme.

Un climat politique délétère

C’est un euphémisme que de le dire, le marigot politique ivoirien est en pleine ébullition, soumis qu’il est au tumulte des manœuvres politiques et des fortes tensions liées à l’échéance présidentielle. Polarisé entre la coalition au pouvoir, sourd à tout report des élections et l’opposition, emmurée dans la logique de la non tenue des élections jusqu’à satisfaction de ses revendications, l’échiquier politique ivoirien ne rassure pas.

La météo politique ivoirienne tourne au mauvais présage : un avis de tempête est émis par de nombreux analystes, de fortes perturbations semblent se dessiner dans le ciel ivoirien. Des prédictions, qui se confirment au vu des morts enregistrée suite à l’annonce de la candidature du président sortant Alassane Ouattara à un troisième mandat, ou au premier mandat de la troisième république, selon les camps en présence et l’appel au boycott actif du scrutin présidentiel par l’opposition.

Un appel qui se traduit par des heurts entre forces de l’ordre et opposants dans certaines localités, par des saccages de biens, mais plus grave, par des affrontements interethniques. Une des craintes et l’un des facteurs aggravants des crises politiques en Côte d’Ivoire est l’instrumentalisation ethnique. En effet, chaque leader politique a un électorat captif qui constitue généralement sa communauté ethnique, de sorte que, les différends politiques se muent très rapidement en différents ethniques, qui allument conséquemment la mèche de la désintégration sociale.

Tout porte à croire que la classe politique ivoirienne n’a pas tiré les leçons des crises à répétition qu’a connues notre pays, emmurée dans l’aveuglement et la surdité face à l’attente de l’écrasante majorité des Ivoiriens : la paix.

Une classe politique oublieuse de ses tribulations

La Côte-d’Ivoire a mal à sa classe politique. Les tribulations et les errements de cette dernière ont valu au pays de Félix Houphouët Boigny de sombrer dans les abîmes de la guerre civile en 2010. Malheureusement, cette classe politique, que dis-je, cette coterie politique, semble amnésique de cet état de fait. Pire, elle conditionne les Ivoiriens à une rechute dans les travers d’une énième déflagration sociale.

Les discours politiques haineux et incendiaires, qui avaient constitué un terreau fertile à l’éclatement et à l’emballement de la guerre en Côte d’Ivoire se multiplient. Les acteurs politiques soufflent à nouveau sur les braises de la division, de la surenchère et de la violence. Gérontocratique et oligarchique, le personnel politique ivoirien a pour l’essentiel toujours considéré le pouvoir comme un mangeoire où l’on vient se servir plutôt que de servir l’intérêt général.

En vérité, l’opposition constitue un agrégat de déchus et de déçus de l’actuel coalition au pouvoir, déception nourrie par la frustration de ne pas avoir été choisi pour porter l’étendard du parti présidentielle à la prochaine présidentielle. Elle est aussi intégratrice d’ex-personnalités de l’ex-régime de Laurent Gbagbo, qui vraisemblablement n’ont pas digéré la perte du pouvoir d’Etat, et les privilèges qui vont avec. La plupart des tenants de l’actuel régime n’est pas logée également à une meilleure enseigne.

Obsédés par le maintien au pouvoir et conséquemment par la conservation de leurs privilèges et prébendes, les gouvernants actuels dans leur grosse majorité veulent s’assurer une victoire à la présidentielle à venir vaille que vaille, même au prix d’une élection non inclusive. Vivement le renouvellement de cette vieille garde politique, dont le départ, constitue de toute évidence une condition nécessaire à l’apaisement du climat politique en terre ivoirienne.


Rentrée scolaire ivoirienne : sous le sceau de la double appréhension

La présente rentrée scolaire annoncée pour la mi- septembre 2020  en terre ivoirienne, sonne comme un moment particulièrement anxiogène pour les masses sociales. Aux motifs de stress traditionnel liés à cette conjoncture – achat de tenues et de fournitures scolaires, frais d’écolage…-, se greffe cette année, la hantise des élections présidentielles, qui se tiennent pratiquement dans la même foulée que la rentrée scolaire.

Juste un intervalle de trois semaines entre le début de la rentrée – le 14 septembre 2020 – et l’entame de la campagne électorale liée à la présidentielle –le 5 octobre 2020 – . Autant le dire, une rentrée scolaire, qui s’annonce comme formelle quand on sait le climat délétère sur fond de violence qui précède et accompagne l’échéance présidentielle sous nos latitudes ivoiriennes.

  • UNE RENTRÉE SCOLAIRE MISE A MAL PAR LA TENUE DE L’ÉCHÉANCE PRÉSIDENTIELLE

Les deux dernières décennies en Côte-d’Ivoire ont fait la preuve que l’élection présidentielle est loin d’être seulement un affrontement idéologique entre les chapelles politiques. Elle se mue très souvent en moment de forte instabilité, avec son lot de casses, de blessés et de morts. On a encore en mémoire, la tristement célèbre élection présidentielle de 2010, dont les victimes ont culminé jusqu’à trois mille morts. Fort de ce précédent tragique, l’heure n’est pas du tout à la sérénité sous nos latitudes ivoiriennes, d’autant plus que la seule annonce de la candidature du président sortant Alassane Ouattara à un troisième mandat ou au premier mandat de la troisième République selon les camps en présence, a entraîné des remous sociaux, occasionnant une vingtaine de morts. C’est peu que de le dire, le marigot politique ivoirien est en pleine ébullition, il tourne à la crispation, à une forte cristallisation des tensions sociales, soumis qu’il est, au tumulte et à l’agitation des manœuvres préélectorales.

L’éclatement de l’alliance des houphouétistes, qui avait permis l’accession de l’actuel président Alassane Ouattara à la magistrature suprême en 2011, et assurer sa réélection en 2015, ouvre la porte à une véritable  reconfiguration de l’échiquier politique ivoirien. Quand les alliés d’hier- Ouattara, Bédié, Soro- se transforment en véritables adversaires voire en ennemis politiques déclarés, toutes les digues de la convenance, de l’élégance politique éclatent et laissent place à des poussées de violence. Il est évident alors que toute la communauté éducative – élèves, parents d’élèves, personnel enseignant, personnel d’encadrement-  et par extension tout le corps social ivoirien, restent suspendus et préoccupés au plus haut point par cette échéance présidentielle. Tout se passe comme si avant la tenue de cette dernière, le temps semble s’arrêter, et avec la rentrée scolaire. Malheureusement, la rentrée scolaire s’annonce également sur fond de crise sanitaire de la covid-19, elle n’est pas sans soulever l’angoisse d’un rebond épidémiologique  et partant la question de la sécurité sanitaire des apprenants et de leurs formateurs.

  • LA CRISE SANITAIRE DE LA COVID-19 : UNE ANGOISSE SUPPLEMENTAIRE

Si la courbe épidémiologique liée à la covid-19 est officiellement en baisse sous nos tropiques ivoiriens, l’angoisse d’une résurgence épidémiologique suite à la reprise des cours, est loin d’être retombée. En effet, l’espace scolaire apparaît potentiellement comme un «  formidable » foyer de contamination car elle est un lieu de fortes interactions. Pas sûr que, l’observance des mesures barrières soit de rigueur comme le recommandent les experts de santé. En effet, la massification des effectifs scolaire n’est pas faite pour arranger les choses. C’est d’une banalité déconcertante sous les tropiques ivoiriens, les effectifs par salle sont généralement pléthoriques, ils culminent jusqu’à 70 voire plus dans certains établissements publics. La distanciation sociale d’un mètre entre apprenants, qui exige un enfant par table banc est donc impossible, à moins de dédoubler les classes et les personnels enseignants.

Ce qui est simplement inenvisageable en l’état, au vu des ressources humaines et infrastructurelles limitées dont dispose le ministère de l’éducation nationale. Pas besoin d’être épidémiologiste pour réaliser que cette forte promiscuité liée à l’environnement scolaire favoriserait à coup sûr un facteur aggravant dans la chaîne de contamination de la covid-19. Néanmoins, le ministère de tutelle c’est-à-dire celui de l’éducation nationale se veut rassurant, il joue la carte de l’apaisement auprès des masses sociales en annonçant la création de cellules covid dans chaque établissement à l’effet d’amplifier la sensibilisation auprès des apprenants et la mise à disposition de dispositifs de lavage de mains. Pas sûr que ces annonces soient de nature à apaiser dans un contexte de forte décrédibilisation de la parole officielle et de faiblesse de nos structures sanitaires à contenir un rebond épidémiologique.  


OU VA LE MALI ?

La question est loin d’être superflue ou anecdotique, tant il est vrai que ce pays connaît actuellement une véritable crise existentielle, qui menace jusqu’à sa survie.

A la profonde crise sécuritaire sur fond d’attaques djihadistes, se greffe aujourd’hui  une crise politique sans  précédent, qui si l’on n’y prend garde, risque d’emporter définitivement le Mali dans les abîmes du chaos social. Ce scénario catastrophe se nourrit non seulement de la situation sécuritaire délétère qui prévaut dans une bonne partie du pays, mais aussi et surtout de l’intransigeance, que dis-je de l’aveuglement de l’opposition politique,  à obtenir le départ de l’actuel président Ibrahim Boubacar Kéita. Tout porte à croire que pour l’opposition politique malienne et l’Imam Dicko – désormais activiste politique, l’éviction de l’actuel tenant du pouvoir entraînera de facto la disparition de tous les maux qui accablent la société malienne. Oh que non ! Le mal est plus profond ! Au-delà des critiques acerbes qu’on pourrait émettre sur la gouvernance de l’actuel locataire du palais de Kouliba (Ibrahim Boubacar Kéita), l’expérience politique a montré qu’au Mali, le changement de chef d’Etat, a été très souvent suivi d’espoirs déçus.

De l’ex-chef de la junte militaire Moussa Traoré à Alpha Oumar Konaré, en passant par Amadou Toumani Touré, et récemment le putschiste Aya Sanogo et Djokounda Traoré, la valse de changement au sommet de l’Etat a montré ses limites. Il ne faudrait pas perdre de vue également que l’actuel chef d’Etat en exercice, est issu des urnes. Il a pour lui la légitimité démocratique et la reconnaissance internationale. Tout se passe comme si l’opposition politique ayant échoué à conquérir le pouvoir d’Etat à la régulière – par les urnes-, s’échinent désormais à faire partir le président par des manifestations de rue enflammées.

  • UNE OPPOSITION POLITIQUE A BOUT DE SOUFFLE

A quoi nos Etats devraient s’attendre, toutefois, que l’opposition politique jugerait le tenant du pouvoir et le système qu’il incarne incompétents et corrompus et qu’elle voudrait sur le moment les évincer par la voie de la rue ? Assurément un chaos ! La démocratie a pour marqueur majeur de policer le jeu politique en le soustrayant à l’engrenage de l’insurrection, du soulèvement populaire, pour faire place à la bataille des idées. A cet effet, elle consacre des espaces d’expression populaire, notamment, à travers les joutes électorales, qui laisse le soin à chaque sensibilité politique de pouvoir s’exprimer et solliciter ainsi le suffrage du peuple. Toute autre voie d’accession au pouvoir d’Etat est bien entendu condamnable. La CEDEAO (communauté des Etats de l’Afrique de l’Ouest) l’a consacré dans un de ses protocoles additionnels. Très à cheval sur ce principe et jouant le rôle de bons offices dans la résolution de cette crise, elle fait du maintien de l’actuel chef d’Etat malien, une ligne rouge à ne pas franchir. Comment peut-il en être autrement ? Quand on sait que son départ ajouterait de l’instabilité à l’instabilité.

L’opposition malienne gagnerait à améliorer son offre politique et surtout à sortir de la balkanisation dans laquelle elle est engouffrée dans l’espoir de rafler la mise aux prochaines échéances présidentielles, au lieu de tenter à bras raccourci d’accéder à la magistrature suprême par le moyen de la rue. On pourrait le dire à la voie de la rue, il faut qu’elle substitue la voie des urnes. La radicalité, le jusqu’au boutisme de l’opposition politique à obtenir la démission de l’actuel chef d’Etat malien, en dépit de tous les efforts de médiation, n’est pas une option. Pire, cette radicalité est un ferment de déstructuration de l’Etat malien, elle alimente le délitement de ce qu’il reste de l’appareil de l’Etat. Plus que jamais, aujourd’hui, la crise, il serait plus judicieux de dire les crises  auxquelles fait face le Mali, commandent un sursaut  national. Il y va de son existence même!

  • DE LA NECESSITE D’UN DIALOGUE NATIONAL

La très mauvaise passe, la situation politique délétère dans laquelle le Mali s’enfonce indéfiniment, ne se dénouera qu’à l’aune d’un véritable dialogue national, inclusif de tous les protagonistes. Une paix des braves, qui ne se fera qu’au prix de concessions réciproques. La survie du Mali, puisque c’est de cela qu’il s’agit, exige qu’on se départisse de toutes les postures jusqu’au boutistes, pour ne privilégier que l’intérêt supérieur du Mali. Puisque, tout le monde – opposants et tenants du pouvoir- s’en réclame d’ailleurs, prétendant n’œuvrer que pour le seul bien public, la conjoncture actuelle devrait connaître logiquement une sortie de crise rapide. Sauf qu’à l’épreuve des faits, la réalité est toute autre. Chaque camp semble manœuvrer pour la défense de ses intérêts égoïstes, qui pour défendre ses privilèges, qui pour accéder au pouvoir d’Etat et bénéficier par voie de conséquence de ces mêmes privilèges. Une élite politique plus soucieuse de ses seuls intérêts que des malheurs du peuple, qui à la vérité, est celui qui trinque. A ce qu’on sache, aucun acteur politique de cette crise et aucun membre de leur cercle familial n’ont fait les frais de cet embrasement social, en termes de blessés ou de morts. Seul le peuple comme à l’accoutumée paie un lourd tribut, il est envoyé en pâture à la mort, exposé à toutes les exactions. A charge à lui également de cultiver une certaine maturité politique, qui lui éviterait d’être instrumentalisé comme un simple marchepied dans la perspective de l’accession au pouvoir d’Etat. Il faut résolument se mettre à l’idée que les maux qui gangrènent la société malienne- panne de gouvernance, corruption endémique, insécurité …, ne se résolveront pas à coups d’intimidations, de départ forcé du chef de l’Etat. Seuls une concertation nationale à même de poser le bon diagnostic assorti d’un suivi des recommandations et une construction citoyenne dans le sens du respect du bien public et un réarmement moral, peuvent  être des gages durables pour sortir le Mali de l’ornière.


ECOLE IVOIRIENNE : A L’ERE DU BAC WHATSAPP !

L’école ivoirienne, on la sait déjà malade, malade de ses grèves intempestives, malade d’une crise de vocation, malade de la prédation sexuelle, une massification du phénomène des grossesses scolaire, malade en partie également de sa gestion.  A toutes ses tares précitées, s’ajoute aujourd’hui une gangrène nouvelle, celle de la tricherie au baccalauréat par l’intermédiaire du réseau social whatsapp, un phénomène pudiquement appelé sous nos latitudes ivoiriennes «  bac whatsapp ».

Le dicton est bien connu : autre temps, autres mœurs. Les  apprenants ivoiriens ont aussi fait leur mue en matière de tricherie, ils s’inscrivent désormais dans l’air du temps. Finies les vieilles méthodes, qui consistaient à avoir recours à des supports physiques – cahiers de cours, bouquins, annales – lors des examens à grand tirage, principalement celui du bac. L’heure est dorénavant à la digitalisation des pratiques, à la sophistication des méthodes.

-UNE TRICHERIE EN MODE 2.0

 Tout porte à croire que nombre d’apprenants ivoiriens ont très vite pris la mesure du ‘’potentiel ‘’ de l’outil numérique, en l’occurrence le téléphone portable, dans la pratique de la tricherie. Beaucoup plus commode au sens d’être moins encombrant donc plus dissimulable et surtout disposant d’une capacité d’emmagasinement de supports impressionnant, beaucoup d’élèves ont vite fait de parier sur cet outil des temps modernes pour déjouer la surveillance dans les salles de composition et obtenir le précieux sésame en l’occurrence le baccalauréat. Que d’ingéniosité dans la planque de ces téléphones portables ! Pour les témoignages qui nous reviennent, cette race de tricheurs 2.0 a plus d’un tour dans son sac pour dissimuler et faire entrer le téléphone portable en salle. Tenez pour le coup, certains apprenants poussent l’audace jusqu’à camoufler leur portable -des nano portables- dans des tranches de pains, dans leurs chaussures ou encore dans leurs dessous, passant ainsi sans difficulté l’étape des fouilles corporelles, qui est de rigueur à l’entrée de chaque établissement. Comble de l’ironie, pendant que j’écrivais ce billet, j’ai fait les frais de cette dextérité de nos apprenants en matière de planque de portables.

En effet, officiant comme enseignant de philosophie au centre ouest de la Côte-d’Ivoire, j’étais commis à la surveillance du baccalauréat 2020. Au second jour des compositions, plus précisément le mardi 28  juillet, le vice-président du centre de compositions, qui a en charge d’apposer les stickers sur les copies des apprenants, pénètre dans la salle dont j’étais le surveillant et se dirige instinctivement vers un élève, effectue un rapide contrôle de sa calculatrice et découvre qu’à l’arrière de celle-ci est flanqué un portable. L’apprenant fraudeur a bonnement évidé l’arrière de la calculatrice, qui bien évidemment ne fonctionnait plus, et y a installé un portable. Frappé de stupeur, je reste sans voix sur le moment. Automatiquement, cette interrogation germe à l’esprit : comment est-ce que j’ai pu ne rien constater pendant 3 heures de surveillance tandis que le vice-président en un laps de temps a pu repérer la supercherie ? Reproche qu’il me fera du reste, avec une pointe de suspicion. Diantre, comment aurais-je pu me mettre à l’esprit qu’une banale calculatrice, qui du reste est autorisée, pouvait se transformer en un lieu de planque de portable ?  Renseignements pris plus tard, il s’avère que l’apprenant fraudeur avait eu une attitude louche dès l’entrée du vice-président dans la salle et que des cas similaires avaient été découverts la veille, toutes choses qui ont favorisé l’inspection de la calculatrice incriminée. En un mot comme en mille, le phénomène du bac whatsapp prospère, il se porte si bien qu’il fait des émules à l’échelle du pays. Abidjan n’est plus le seul nid ou l’épicentre de la fraude, l’intérieur du pays s’y met activement. La pratique du bac whatsapp donne lieu aujourd’hui à de vastes réseaux de racolage des élèves mais aussi des parents, qui sont généralement le bras financier de ce phénomène malsain. Ainsi, des recruteurs, certains étudiants et enseignants sont à l’œuvre pour proposer aux groupes d’élèves sur whatsapp leurs services moyennant forte rémunération. Après quoi, lors des jours de composition, ces étudiants et enseignants indélicats se chargent de faire parvenir les corrigés des différents sujets sur le compte whatsapp des groupes d’élèves avec qui ils ont eu à passer la transaction. A la vérité, le fleurissement du phénomène du bac whatsapp renseigne à l’évidence sur l’état de déliquescence moral dans lequel se trouve la Côte-d’Ivoire. C’est bien connu, l’école n’est rien d’autre que le microcosme du macrocosme social, elle est donc le reflet de la société ivoirienne, un marqueur qui en dit long sur les antivaleurs qui gangrènent le corps social.

  • LE BAC WHATSAPP, UN PHENOMENE SYMPTOMATIQUE DE L’ETAT DE DELITEMENT MORAL DU CORPS SOCIAL IVOIRIEN

Selon le mot de l’écrivain ivoirien Tiburce  Koffi, « la jouissance paresseuse » semble s’ériger en mode de vie sous nos latitudes ivoiriennes. On veut tout acquérir sans effort, sans culture du travail ou par des chemins de traverse (des voies détournées). A coups de pratiques peu orthodoxes- tricherie, pots de vins, clientélisme, népotisme, corruption-, nombre d’ivoiriens veulent se faire une place au soleil. Pas étonnant alors que nos apprenants s’y mettent d’autant plus que les adultes ne font pas mieux. Le sens de l’effort personnel, le sens du travail se perd progressivement au profit du règne de l’argent. On entretient l’idée qu’avec l’argent, on peut tout avoir, y compris les parchemins. Il faut se l’avouer, aujourd’hui, un certain environnement social teinté de passe-droits, de cupidité nourrit le phénomène du bac whatsapp tant et si bien qu’une frange des apprenants ivoiriens n’a plus le cœur à l’ouvrage, elle rechigne à l’effort et préfère se vautrer dans la médiocrité et s’adonner à cette forme de tricherie 2.0 . Faisant figure de véritable fléau, le bac whatsapp vient mettre à mal les efforts consentis par les pouvoirs publics en vue de la crédibilisation des parchemins ivoiriens fortement entachés par la décennie de crise militaro-politique qu’a connue la Côte-d’Ivoire. La tutelle c’est-à-dire le ministère de l’éducation nationale semble avoir pris toute la mesure de cette énième gangrène, qui vient enlaidir l’image du système éducatif ivoirien. Elle annonce des sanctions disciplinaires, pénales pour les enseignants ou les étudiants impliqués dans ces pratiques. Quant aux élèves coupables de tels agissements, leur exclusion de toutes les écoles de Côte-d’Ivoire sera de rigueur. Autant de dispositions, qui pour l’heure ne semblent pas réfréner les ardeurs des acteurs de cette pratique peu orthodoxe. En tout état de cause, plus qu’une option, la lutte contre le bac Whatsapp et de manière générale, le combat pour le renouveau de l’école ivoirienne s’impose comme un impératif, une urgence absolue.


AUGMENTATION DES CAS COVID EN TERRE IVOIRIENNE : ENTRE INSOUCIANCE ET DÉNI DES POPULATIONS

Le moins que l’on puisse dire, est que la courbe d’évolution des cas covid sous les latitudes ivoiriennes explose. De la survenue du premier cas en mars 2020 jusqu’à en début juin, les chiffres de la contamination étaient faibles voire marginaux, de l’ordre de dix à trente cas maximum de contamination journalière. Cependant, depuis deux semaines, on assiste à un véritable retournement de situation. Le niveau de propagation s’envole pour atteindre la barre record de quatre cent trente contaminations/jour. La Côte-D’ivoire a franchi le seuil de six mille cas aujourd’hui (précisément six mille huit cent soixante quatorze cas de contamination). Comment expliquer cette tendance haussière sans précédent ? Le principal facteur explicatif est sans doute dans le relâchement des mesures barrières, qui se traduit par une insouciance généralisée des populations.

  • UN LAXISME MARQUÉ DES MASSES SOCIALES

A l’instar des autres pays, la Côte-D’ivoire s’est engagé dans un processus de déconfinement.  A cet effet, le chef de l’Etat a assouplit les restrictions initiales qui avaient été arrêtées dès l’éclatement de la crise sanitaire. Entre autres, les écoles, les universités ont été rouvertes, le couvre-feu levé, le regroupement de personnes jusqu’à deux cents autorisé, etc. Cependant, cet allègement sonne pour beaucoup d’ivoiriens comme la fin de la covid. Il fait figure de reprise de la normalité quotidienne au mépris des consignes sanitaires dont notamment le port du masque, la distanciation physique et le lavage régulier des mains. Tout se passe comme si le mur de la peur, de l’appréhension qui était présent lors du déclenchement de la covid était tombé. Les vieilles habitudes renaissent de plus belle, les maquis- les lieux de beuverie- sont pris d’assaut comme pour rattraper le temps ‘’perdu’’ lors du confinement, les attroupements dans les transports sont monnaie courante, les festivités sociales – mariages, baptêmes…- reprennent sur des chapeaux de roue dans le plus grand laxisme et la plus totale indiscipline. En un mot comme en mille, les populations ivoiriennes en général sont en mode insouciance. Pire, une partie est également dans le déni de la maladie.

  • LE DÉNI DU COVID PAR UNE STRATE SOCIALE

Aussi hallucinant que cela puisse paraitre, une frange de la population ivoirienne conteste la réalité du covid-19. Certains reportages de la télévision d’Etat et articles de journaux de la presse ivoirienne sont révélateurs à cet effet. Les réseaux sociaux de par leurs publications en donnent aussi toute la mesure. Entre théorie du complot – une invention du gouvernement- et absence d’images relatives aux dépouilles ivoiriennes du covid, certains se sont faits une religion : la  covid relève de la fiction, c’est un tissu de mensonges. On serait tenté de le dire, la faible létalité liée à la covid sous nos tropiques ivoiriens – quarante neuf morts jusqu’à ce jour- nourrit en partie ce sentiment d’irréalité concernant la pire crise sanitaire que le monde ait connu depuis la peste espagnole de 1917. Les images dramatiques d’hôpitaux saturés de patients covid en Chine, en Europe, aux Etats-Unis au plus fort de la crise sanitaire, les images insoutenables de cimetières débordés par le rythme effréné d’inhumations dans nombre de capitales occidentales lors de la vague épidémique, n’auront pas servies à changer la perception des négateurs de la covid-19. Hélas, emmurés dans leur conviction suicidaire, ces ivoiriens négateurs de la covid constituent un véritable obstacle au plan de riposte sanitaire élaboré par les pouvoirs publics. Ce déni de la covid n’est pas sans rappeler un autre, celui du sida dans les années quatre vingt en Côte-D’ivoire, qui a valu à notre pays une explosion des cas VIH au point d’en faire un des pays les plus touchés dans la sous-région. Conscient de cette réalité, l’Etat s’attèle à intensifier la sensibilisation et la mobilisation autour de la lutte contre la pandémie. Une lutte qui ne sera gagnée qu’avec l’implication et le civisme des populations.

  • DE LA NÉCESSITÉ DU CIVISME  DE LA POPULATION

C’est un secret de polichinelle, au nombre des clés qui permettent de contenir ou de maîtriser la pandémie de la covid, se trouve aux premières loges le civisme des populations, leur adhésion à la stricte application des consignes sanitaires. Les pays d’Asie comme la Chine- même si on y note aujourd’hui un certain rebond de l’épidémie-, la Corée du Sud et Hong-Kong en sont les parfaites illustrations. La guerre contre la covid-19 exige la mutualisation de tous les moyens -sanitaires, économiques, sécuritaires- mais aussi et surtout un engagement entier des populations. Parlant d’adhésion des populations, l’Afrique est sur la mauvaise pente et c’est un euphémisme que de le dire. Le taux de positivité à la covid ne cesse de croître à une allure vertigineuse.  L’OMS (l’organisation mondiale de la santé) nourrit bien d’inquiétudes quant à l’Afrique, elle tire la sonnette d’alarme et révèle que ce continent a mis deux mois pour franchir la barre des deux cents milles contaminés, mais en deux semaines, a passé le cap de quatre cent mille contaminés. C’est dire le niveau de propagation très élevé du virus. Quand on sait la faiblesse de nos systèmes de santé en termes infrastructurels, d’équipements et de personnel de santé, il est avéré que l’Afrique ne supportera pas une vague épidémique de l’ordre de celle constatée en Europe, en Chine ou aux Etats-Unis. Alors sous nos tropiques africains, on gagnerait à être dans l’anticipation, dans la prévention. Mieux vaut prévenir que guérir dit-on ! Il serait peut-être plus judicieux de dire pour le cas d’espèce de l’Afrique : mieux vaut prévenir que périr.


LATITUDES IVOIRIENNES : QUAND L’HYDRE DJIHADISTE SE RAPPROCHE …

La récente attaque terroriste du poste militaire de Kafolo à l’extrême nord de la Côte-D’ivoire, frontalier du Burkina-Faso, sonne comme un second coup de semonce aux autorités ivoiriennes de la part des mouvances djihadistes du sahel, après celle de Grand-Bassam en 2016.  Partagées entre consternation et appréhension, les populations s’interrogent avec raison sur une possible installation des groupes terroristes dans le septentrion  ivoirien.

En dépit d’absence de revendication ‘’officielle’’ de cette attaque odieuse, tout porte à croire qu’elle porte la signature des mouvances djihadistes qui essaiment dans le sahel depuis quelques années. De par la violence de l’attaque dont le bilan s’élève à 12 militaires ivoiriens tués, de par la nature de la cible et le mode opératoire des assaillants, il n’y a guère de doutes sur le caractère terroriste de cette attaque. D’ailleurs, les experts sécuritaires pointent du doigt la responsabilité du groupe djihadiste du GSMI (groupe de soutien aux musulmans et à l’Islam) d’Amadou Koufar, qui aurait pied dans la zone frontalière entre la Côte-D’ivoire et le Burkina-Faso. Plus que jamais, l’attaque du poste militaire de Kafolo jette une lumière crue sur la capacité d’extension des groupes djiihadistes au-delà de la bande sahélo-sahélienne, leur volonté manifeste de gagner le littoral. C’est bien connu que les groupes terroristes prospèrent sur un fond  de trafics, d’activités criminelles en tout genre -traite humaine, narcotrafic, etc.-. En cela, accéder aux pays du golfe de guinée, en particulier la Côte-D’ivoire, qui fait figure de locomotive de la sous-région, leur permettrait une externalisation sans précédent, avec à la clé un accès à la mer. Il y a fort à penser que cette seconde attaque terroriste en terre ivoirienne en appellera d’autres, à moins que qu’on en tire toutes les leçons, à l’effet de poser le bon diagnostic.

-DE LA NÉCESSITÉ D’UN MAILLAGE SÉCURITAIRE PLUS IMPORTANT DU TERRITOIRE

C’est une vérité qui s’impose avec la force de l’évidence, les groupes djihadistes prospèrent là ou l’Etat est failli, là où on note la déshérence de l’Etat. Il importe alors que l’Etat ivoirien renforce sa présence, surtout sa présence militaire dans les zones frontalières avec le Mali, le Burkina-Faso et le Mali. Cela permettrait d’éviter de faire de ces zones frontalières une base de repli ou un sanctuaire pour les groupes djihadistes, d’autant plus qu’elles sont boisées, elles peuvent facilement servir de cache et de repaire à ces nébuleuses terroristes. L’attaque du poste militaire de Kafolo renseigne à l’envi sur les dysfonctionnements du maillage sécuritaire dans cette zone, frontalière au Burkina-Faso, mais aussi des lacunes du renseignement militaire ivoirien. Le pouvoir ivoirien gagnerait mieux à développer le renseignement dans ces zones frontalières qu’à vouloir pister systématiquement ses opposants politiques. L’envergure de l’attaque dénote que personne n’a vu venir le coup, aussi bien les militaires présents au poste-frontière que les agents de renseignements commis à l’anticipation de ce genre d’entreprise terroriste. Le maillage sécuritaire commande également une bonne collaboration voire une complicité entre les forces de sécurité et la population car sans communion entre le peuple et l’armée, il n’y a pas de renseignements et donc pas d’anticipation. La population constitue en effet le premier dispositif de veille à même de dénoncer les infiltrations et les pratiques suspectes. Cela dit,  même si la Côte-D’ivoire relevait le pari du maillage sécuritaire et du renseignement à l’échelle de son territoire, elle doit jouer collectif avec les pays limitrophes pour espérer contenir l’hydre djihadiste.

-DE LA NÉCESSITÉ D’UNE COLLABORATION ÉTROITE ENTRE PAYS FRONTALIERS

Il faut aujourd’hui décloisonner la riposte à apporter au terrorisme. En tant que phénomène transfrontalier, la solution ne peut plus se confiner dans les seules limites territoriales, elle doit revêtir un caractère régional et international. En cela, la création du G5 sahel – le regroupement militaire du Mali, du Burkina-Faso, du Niger, du Tchad et de la Mauritanie- va dans la bonne direction, mais, elle n’est pas suffisante. Il faut élargir ce front militaire à tous les pays d’Afrique de l’ouest y compris le Nigéria. La mutualisation des moyens humains et matériels assortie du droit de poursuite seront décisifs pour venir à bout de la gangrène terroriste. Cela se fera non sans également la coopération des grandes puissances en matière de renseignements, de formation et de financements. Le maître- mot  de cette bataille demeure alors la collégialité. C’est bien connu, seul, on va seul, ensemble, on va plus loin.


LATITUDES IVOIRIENNES : VIVEMENT UN ‘’SMIG‘’ POLITIQUE !

Les élections présidentielles de 2020 approchent à grands pas, et avec, son lot de discours politiques anxiogènes, incendiaires et haineux. C’est peu que de le dire, le marigot politique ivoirien est en pleine ébullition, soumis qu’il est, au tumulte et à l’agitation des manœuvres préélectorales. Les lignes politiques ou idéologiques s’évaporent, se redéfinissent, s’ajustent au gré des intérêts et des ambitions politiques du moment. L’éclatement de l’alliance des houphouétistes, qui avait permis l’accession de l’actuel président Ouattara à la magistrature suprême en 2011 et sa réélection en 2015 ouvre la porte à une véritable  reconfiguration de l’échiquier politique ivoirien. Quand les alliés d’hier- Ouattara, Bédié, Soro- se transforment en véritables adversaires voire en ennemis politiques déclarés, toutes les digues de la convenance, de l’élégance politique éclatent. Les ex-alliés-un aéropage de personnalités déchues et déçues de la mouvance présidentielle- désormais opposants encartés, portés par un ressentiment tenace, semblent être nourris par une seule obsession aujourd’hui : faire payer le prix fort au chef de l’Etat pour sa ‘’trahison’’. Une situation politique, que dis-je un psychodrame politique à l’ivoirienne qui donne lieu à de véritables passes d’armes, à des diatribes entre tenants du pouvoir et ex-alliés reconvertis en opposants purs et durs. On se rue dans les brancards, on fait feu de tout bois, au mépris de tout fair-play républicain. Les échanges feutrés, à fleuret mouchetés qui prévalaient du temps de l’alliance des houphouétistes,  sont désormais un vieux souvenir, ils laissent place à la rhétorique guerrière et à l’outrance.  Tout se passe comme si les acteurs politiques ivoiriens,  obnubilés par la seule logique de conquête ou de conservation du pouvoir d’Etat avaient perdu tout sens de la tenue, de la retenue. La surenchère langagière, les dérapages, les invectives sont désormais les choses les plus partagées au sein de la classe politique ivoirienne.  Tout porte à croire que les enseignements de la crise politico-militaire, qui a plongé le pays dans les abîmes de la guerre pendant une décennie n’ont pas été tirés par la classe politique.

-UNE CLASSE POLITIQUE OUBLIEUSE DE SES ERREURS D’ANTAN

C’est bien connu, les mêmes causes produisent les mêmes effets. La stigmatisation, les discours politiques haineux et incendiaires, qui avaient constitué un terreau fertile à l’éclatement et à l’emballement de la guerre en Côte-d’Ivoire semblent se profiler à l’horizon. Les acteurs politiques, autant qu’ils sont, responsables de cette tragédie, qui a valu au pays plus de 3000 morts et une récession économique sans précédent, font preuve d’une amnésie et d’une cécité intolérables, en soufflant à nouveau sur les braises de la division, de la surenchère et des dérives langagières. Plus soucieux de leurs intérêts que des malheurs du peuple, la classe politique ivoirienne ne semble pas avoir pris la mesure de la responsabilité qui est la sienne dans la crise militaro-politique qui a ébranlé fortement le pays. Une crise qui a laissé des plaies béantes qui n’ont pas été jusqu’à ce jour complètement cicatrisées, et qui on l’espérait servirait de piqûre de rappel aux hommes politiques quant à la nécessité de la tempérance dans leur agir.

-LA NECESSITE D’UN FAIR PLAY POLITIQUE

Il faut se le dire franchement, l’échiquier politique n’est pas une jungle où on peut tout faire et tout dire au mépris de toute convenance républicaine. Il est certes une arène, mais une arène régie par un minimum de consensus républicain, qui exige de la courtoisie, de la retenue ou ‘’du bon ton’’ comme on le dit prosaïquement en terre ivoirienne. La stature d’hommes d’Etat dont tous les acteurs politiques ivoiriens se prévalent, prescrit de la hauteur, de la décence dans l’agir politique. On ne le dira jamais assez, la Côte-d’Ivoire est notre bien commun le plus cher, rien ne peut justifier, qu’on veuille l’embraser à coups de déclarations incendiaires, elle prime sur tout. Sur tous les égos surdimensionnés, les luttes et les intrigues de pouvoirs, et sur toutes les ambitions personnelles, fussent-elles les plus légitimes.


Mali : les leaders religieux, premiers opposants politiques ?

Le cherif de Nioro et Mahmoud Dicko font stade comble à Bamako – Nord Sud Journal/Le grognon

La question est loin d’être superflue ou anecdotique, tant il est vrai que les leaders musulmans maliens ont aujourd’hui investi sans réserve le champ politique. Tout porte à croire que le pas a été franchi par les acteurs religieux dans le sens d’une plus grande implication dans le débat politique. Un changement de paradigme qui en dit long sur leur pouvoir croissant dans l’espace public malien, et qui vient de se confirmer avec la démission forcée du désormais ex-premier ministre Souleymou Boubeye Maïga dont la tête avait été réclamée le 4 avril dernier lors d’un meeting organisé par leurs soins, et qui avait réuni des dizaines de milliers de maliens. Un meeting aux accents de véritable démonstration de force opéré par le président du haut conseil islamique et du chérif de Nioro, qui avait de quoi faire pâlir d’envie l’opposition politique classique tant la mobilisation citoyenne était record. Une mobilisation populaire exceptionnelle ce jour-là, assortie de sévères mises en garde à l’endroit du chef de l’Etat malien quant à la prise en compte de leurs desiderata, dont principalement la révocation du premier ministre. Sans vouloir minimiser la menace de motion de censure au parlement dont ce dernier faisait l’objet, il reste que l’hostilité des religieux a été la lame de fond qui a scellé son sort. Cette intrusion du religieux dans l’arène politique ne manque pas d’interpeller et d’inquiéter quant au risque accru d’une théocratisation du champ politique malien.

-Une menace sur la laïcité

Qu’adviendrait- il si les guides religieux maliens se transformaient de manière permanente en faiseurs de roi, qui font et défont l’exécutif au gré de leurs intérêts ? Assurément que le jeu politique s’en trouverait affecté, voire faussé. Le caractère laïc de toute société impose une séparation nette entre le spirituel et le temporel, la non confusion entre le pouvoir d’Etat et la chose religieuse, qui permet à chaque pouvoir en fonction de sa nature (spirituelle ou politique) de jouer sur ses terres. Quand on sait que le Mali est un pays à prédominance islamique (plus de 90℅ de la population) et que l’Islam y est pour une bonne part confrérique, ce qui sous-entend la subordination des fidèles aux chefs religieux, on est en droit de s’inquiéter de cet activisme politique déployé par ces acteurs religieux d’un nouveau genre, qui nourrissent de plus en plus des ambitions politiques. Pour rappel, les leaders religieux ne sont pas à leur premier « fait d’arme ». Hormis la récente obtention de la démission du premier ministre Soumeylou Boubeye Maiga, ils avaient déjà fait reculer le gouvernement sur le projet de loi relatif au nouveau code de la famille. La formule est bien connue, chaque victoire fait appel à une autre victoire. Jusqu’où iront les leaders religieux ? Autant le dire, ils semblent s’être installés durablement dans l’espace politique malien, non sans contrevenir ou aller à rebours du rôle de formation religieuse, mais aussi d’entremetteur, de bons offices ou de médiation qui a toujours été le leur dans la résolution des conflits sociaux. Il faut aussi se l’avouer, cette immixtion du religieux dans le champ politique a été favorisée par les leaders politiques maliens eux-mêmes.

-L’intrusion du religieux dans le champ politique : une conséquence des mœurs politiques maliennes

C’est un secret de polichinelle, les acteurs politiques sous nos latitudes africaines ont toujours voulu se servir des leaders religieux à des fins électoralistes. Le Mali ne déroge à cette tendance lourde. Cependant bien plus qu’ailleurs-hormis le Sénégal-, le phénomène est beaucoup plus marqué sous les tropiques maliens. L’actuel président Ibrahim Boubacar Keita avait bénéficié en son temps- lors de sa première mandature- des appels au vote de certains leaders religieux, toute chose qui avait grandement favorisé son accession au pouvoir d’Etat. L’opposition politique n’est pas en reste, dans cette entreprise d’adoubement par les guides religieux. La récente présidentielle malienne vient d’en administrer la preuve avec la consigne de vote donnée par le chérif de Nioro-haut dignitaire musulman- en faveur d’un candidat de l’opposition, qui lui a valu la troisième place, ce qui n’est pas rien vu que ce dernier était jusqu’à récemment un illustre inconnu de la scène politique malienne. Il ne faut pas se méprendre, ce sont les acteurs politiques qui par leurs différents appels du pied, leurs sollicitations assidues, ont poussé les leaders religieux à sortir de leurs mosquées ou de leurs lieux de retraite pour en faire ce qu’ils sont aujourd’hui, c’est-à-dire des activistes politiques. Si aujourd’hui l’opposition politique malienne semble se réjouir et applaudir l’arrivée de ses alliés inattendus que sont les religieux, il n’en reste pas moins qu’elle doit sûrement s’attendre demain à un retour de bâton quand elle sera aux commandes.


GRЀVES Á RÉPÉTITION : OÙ VA L’ÉCOLE IVOIRIENNE ?

C’est un euphémisme que de le dire, l’école ivoirienne se porte mal. Elle est malade des effets cumulatifs d’une décennie de crise militaro-politique, qui a nourri de manière abyssale le déficit chronique d’enseignants et conduit à un manque d’investissements infrastructurels dans le secteur éducation-formation. Ce que certains analystes sociopolitiques ivoiriens appellent la décennie perdue- la période de crise de 2000 à 2010- aura laissé certainement de graves séquelles sur le système éducatif ivoirien. Une école ivoirienne aussi gangrenée par des pratiques comme la tricherie, la consommation de drogue, l’incivilité, la culture de la violence, la tontine sexuelle- qui fait rage dans certains établissements- etc. Á cette longue liste de maux, s’ajoutent aujourd’hui les grèves à répétition, qui ont pris un relief bien particulier vu leur prolongement dans le temps, tant et si bien que le spectre d’une année blanche n’est plus à écarter. Figurez-vous que depuis le 10 décembre 2018, jour à partir duquel les élèves ont débrayé les salles de classe dans la localité de Gagnoa où j’officie comme enseignant, les écoles publiques sont depuis lors restées portes closes. Du débrayage des élèves le 10 décembre  2018 aux différents mots d’ordre de grèves des enseignants relatifs principalement à la revalorisation des indemnités de logements, cela fait plus de deux mois que l’école est à l’arrêt. Les autres localités du pays ne sont pas épargnées par ce mouvement de grèves prolongées, non sans nourrir l’inquiétude grandissante des parents d’élèves qui s’interrogent légitimement sur l’avenir de leurs enfants. Mais cette situation de blocage, de crise de l’école ivoirienne pose aussi avec acuité la question de la responsabilité des différents acteurs.

-Une crise aux responsabilités partagées

On ne le dira jamais assez, gouverner, c’est prévoir, c’est anticiper la survenue des conflits sociaux ou à tout le moins les circonscrire assez rapidement lorsqu’ils éclatent. Le moins qu’on puisse dire, c’est que l’Etat ivoirien a manqué d’anticipation, de tact et de communication dans la gestion de cette situation de blocage de l’école ivoirienne. Comment comprendre qu’un cadre de discussions n’ait pas été crée dès le dépôt du premier préavis de grève, qui remonte au mois de décembre, à l’effet de recevoir les syndicats enseignants pour aplanir les différents ? Rien moins que l’expression d’un certain mépris de la part du ministère de tutelle, qui n’hésite pas à emboucher l’ »argument » de la politisation de la grève. Qu’à cela ne tienne ! Il reste, qu’il est toujours du devoir des pouvoirs publics de discuter pour arrondir les angles, rassurer et assurer in fine la sérénité de l’école ivoirienne, gage de bonnes performances scolaires. Sans vouloir être nihiliste ou négateurs des efforts consentis par le gouvernement actuel en faveur de l’école- déblocage des salaires, reprise des avancements salariaux, recrutement assez important d’enseignants, effort infrastructurel…-, les pouvoirs publics doivent néanmoins sortir de cette logique de mépris des plates formes syndicales qui sont ne sont rien d’autres que le creuset du corps enseignant et du personnel d’encadrement ivoiriens. Autant le dénoncer avec force, la trêve sociale à laquelle le gouvernement est parvenue avec certains syndicats l’année passée, qui court sur cinq ans n’est pas synonyme de mise en cage de l’ensemble des syndicats ou de mise en veilleuse de toute revendication d’ordre corporatiste. Si l’Etat est incriminé dans le pourrissement de cette crise aux effets désastreux sur l’école ivoirienne, il n’en reste pas moins que les enseignants ont aussi leur part de responsabilité.

Les syndicats ivoiriens : la logique de l’intransigeance

À la décharge de l’Etat, on pourrait noter le jusqu’au boutisme de certains syndicats enseignants, englués dans une logique du tout ou rien. On le relevait tantôt les pouvoirs publics actuels ont consenti un effort financier non négligeable dans le sens de l’amélioration des conditions existentielles des enseignants en termes notamment du déblocage indiciaire des salaires et de la reprise des avancements salariaux. Toutes choses qui valent aujourd’hui un quasi dédoublement du salaire de base. Cette revalorisation salariale nourrit au sein de l’opinion populaire à tort ou à raison l’idée que les enseignants sont les « enfants choyés » de la République. Les populations s’expliquent difficilement ces grèves à répétition et expriment de plus en plus un sentiment de lassitude et de ressentiment face à ce qu’elles considèrent comme une prise en otage de l’école ivoirienne par certains acteurs syndicaux. Les langues se délient de plus en plus au sein de la société civile – parents d’élèves, élèves, guides religieux, chefferie traditionnelle- pour en appeler à une certaine retenue, une certaine pondération de l’action syndicale.

En tout état de cause,  l’Etat a à charge de nouer ou de renouer le fil du dialogue avec les partenaires de l’école dont notamment les plates formes syndicales pour conjurer  cette crise qui n’a que trop durer. Aussi, les syndicats doivent-ils s’inscrire dans une logique d’apaisement pour donner une chance aux négociations car aucun sacrifice n’est de trop de part et d’autre pour ramener la tranquillité au sein de nos établissements, et sauver in fine l’école ivoirienne.