Le mouvement des « gilets jaunes » vu d’Afrique

8 décembre 2018

Le mouvement des « gilets jaunes » vu d’Afrique

Hallucinantes, surréalistes, invraisemblables, les qualificatifs ne manquent pas pour décrire les scènes de violence orchestrées sur les Champs Elysées et la place de l’arc de triomphe, elles sont « dignes » de certaines de nos « républiques bananières », où l’incivisme se double d’une interprétation permissive de la démocratie. Sauf que là, ne nous méprenons pas, nous ne sommes pas sous les tropiques africains, mais plutôt sous les latitudes françaises. Une éruption, une explosion de violence qui n’a d’égale que l’incompréhension qu’elle suscite vue d’Afrique. La rue africaine s’interroge et se perd en conjectures, « mais où va la France ? », dit-on.

Une France méconnaissable

Il faut se l’avouer, les scènes de guérilla urbaine, les saccages, le vandalisme, les batailles rangées entre policiers et manifestants -que dis-je émeutiers-, le nombre important de victimes, d’interpellés… ont fait l’effet d’un choc sous les tropiques africains. Comment la France en est-elle arrivée là ? La belle France, celle des « pratiques policées », « des mœurs raffinées » en est là aujourd’hui, défigurée, souillée par tant de violences et d’incivisme. Un déchaînement d’une rare violence dirigée en grande partie contre les symboles de l’Etat et de la finance, qui dénote à l’évidence que les pays en voie de développement, et en particulier les pays africains n’ont pas le monopole de la culture de la violence ou de la « bêtise ». Oui, il ne serait pas excessif de qualifier cette furie destructrice de véritable bêtise car rien ne peut justifier un tel niveau de violence et de destructions. C’est bien connu, la démocratie réside non pas dans l’argument de la force, mais dans la force de l’argumentation, les protestations ne peuvent se faire que dans les limites du respect de la chose publique, et du respect des autres. Hélas, la France vient d’administrer la preuve que l’exemplarité des mœurs républicaines n’est pas toujours du côté de ceux qu’on croît porter l’étendard du civisme-le respect de la chose publique-.

En outre, la rue africaine s’interroge : comment le président Macron va-t-il sortir ce cette mauvaise passe ? C’est sans conteste la pire tempête à laquelle il a à faire face depuis le début de son quinquennat, après le feuilleton Benallard. Tout porte à croire que le président jupitérien, le maître des horloges comme il aime à se qualifier, laissera des plumes dans cette fronde sociale protéiforme. Les dernières propositions de mesures de sortie de crise du premier ministre, Edouard Philipe, laissent entrevoir une inflexion de la part de l’exécutif, sinon un rétropédalage, qui du reste est jugé tardif et insuffisant.

Un président français qui a perdu de sa superbe.

Pour le moins, le capital sympathie du président Macron s’est fortement effrité à l’échelle du continent africain. Un style de gouvernance jugé froissant, voire condescendant par moments. Certains propos du jeune président français Macron sont heurtants et agaçants à plus d’un titre. On se souvient qu’il reprochait à Hollande un manque d’autorité, de fermeté dans l’action publique, mais sous son magistère, on n’est pas loin de penser qu’on glisse vers l’autoritarisme et l’arrogance. Du recadrage public de l’ex-chef d’État major des forces  françaises qui a précipité la démission de celui-ci, à la sortie froissante du président français faisant état de ce que le sous-développement en Afrique est d’ordre civilisationnel, son dérapage en Pologne sur les travailleurs détachés, ou encore ses propos peu amènes à l’endroit du président Roch Marc Kaboré lors de l’étape burkinabé de son périple africain, qu’il a vite fait de mettre sur le compte de la plaisanterie… le président  Macron irrite de plus en plus. Et justement, c’est l’un des éléments favorisant cette crise sociale. Le manque de véritable concertation, la volonté d’embarquer les français dans un train de réformes sans leur adhésion préalable, le manque d’empathie, le mépris, l’indifférence, le manque de compréhension des souffrances du petit peuple, la chute du pouvoir d’achat faute d’accompagnement suffisant pour les plus pauvres, qui constituent la lame de fond de cette contestation sociale sans précédent.

En tout état de cause, cette forte période d’agitation sociale constituera un tournant décisif de sa mandature, il y aura vraisemblablement pour l’exécutif français un avant et un après « gilets jaunes ». Peut-être que cette fronde sociale inédite aura le mérite de rappeler au président Macron que l’urgence des reformes sociales requiert un minimum de consensus national, un minimum d’adhésion préalable des Français.

 

 

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