PERSONNEL DE SANTÉ IVOIRIEN : VOUS AVEZ DIT LE SERMENT D’HIPPOCRATE OU D’HYPOCRITE ?

4 juin 2018

PERSONNEL DE SANTÉ IVOIRIEN : VOUS AVEZ DIT LE SERMENT D’HIPPOCRATE OU D’HYPOCRITE ?

Sans vouloir jeter l’anathème sur l’ensemble du personnel de santé ivoirien, il n’en reste pas moins que ce corps d’activité reste profondément gangrené par de nombreuses pratiques corruptrices ou prédatrices. On est à mille lieux de l’humanité et du souci du patient qui devrait être son apanage, tant ce milieu s’est transformé en repère d’affairistes, en véritable nid de corruption.

Abstraction faite des réseaux de détournements des médicaments, des réactifs en laboratoire et de la vente du matériel médical à l’occasion, je voudrais m’appesantir sur ce qu’il est convenu d’appeler ‘’le phénomène d’extorsion d’argent aux patients et aux parents de patients’’. Une pratique qui a atteint des sommets inimaginables et qui se banalise sous nos latitudes, avec pour conséquence majeure d’entraîner la désaffection des masses sociales de nos centres de santé. Car c’est une vérité qui s’impose avec la force de l’évidence : avoir un malade interné dans une structure sanitaire ivoirienne, surtout celles d’Abidjan, c’est la porte ouverte à la saignée financière. Entre ordonnances fantaisistes, analyses médicales très souvent majorées, coûts surfacturés des opérations chirurgicales et pots de vin à donner pour être sûr que son malade bénéficie d’une certaine ‘’qualité’’ de soins, des parents de patients à bout de souffle financier en viennent à soustraire leur malade de nuit de l’hôpital, quitte à ce que dernier passe de vie à trépas à la maison. Des parents et patients rendus exsangues financièrement par tant de pratiques non orthodoxes. Déjà rongés par l’anxiété liée à l’état de santé de leurs malades, ces proches doivent encore faire face à l’affairisme ambiant qui prévaut dans nos structures sanitaires. Une situation qui s’apparente à une double peine.

-LA DOUBLE PEINE

Un ami me confiait récemment que suite à l’hospitalisation de son père au CHR de Gagnoa (au centre ouest de la Côte-D’Ivoire) et son admission au service de réanimation, les médecins avaient exigé 100.000 FCFA pour acheter les médicaments nécessaires au traitement du patient. Lorsqu’il a pu accéder à la salle de réanimation, il a constaté qu’en tout et pour tout, seule une perfusion avait été administrée à son père. D’ailleurs, ce dernier a succombé à son mal quelques jours après. Ayant réalisé la supercherie, il s’est plaint auprès du médecin traitant, mais en vain….

Loin d’être isolée, cette pratique d’extorsion de fonds est largement répandue. Elle n’est pas sans rappeler en 2015 l’affaire Awa Fadiga, du nom de cet ex-mannequin ivoirien, agressée grièvement et admise aux urgences du CHR de Cocody. Elle y avait succombé à ses blessures faute de soins, ou plus précisément faute d’argent. En effet, très généralement la célérité de la prise en charge dans les structures de santé est fonction du pouvoir financier du patient (sa capacité à payer rubis sur ongle ce que le corps médical exige) ou de sa connaissance d’un membre du personnel de santé qui peut jouer de son statut pour trouver rapidement un lit d’hospitalisation au patient et ramener avec diligence au chevet de celui un infirmier ou un médecin. Malheureusement, Awa Fadiga n’avait ni l’un ni l’autre, et ce qui devait advenir se produisit : la mort. Le scandale a été si retentissant qu’il a valu son poste au directeur général du CHR de Cocody. Malheureusement, trois ans après cet épisode dramatique, les choses n’ont pas véritablement changé. C’est en tout cas le ressenti populaire. Pour preuve, le vigile de notre établissement m’a relaté comment, dans la foulée des fêtes de fin d’année, il avait piqué une crise en pleine nuit et avait fait le tour de son quartier à la recherche d’une clinique. Étonné par cette attitude, je lui demandais pourquoi il n’avait pas pris simplement le chemin de l’hôpital public, a priori beaucoup plus sûr en termes de qualité de soins que ces cliniques de bas étage de quartier. Sa réponse fut sans appel : « j’étais sans le sou et je savais qu’au moins, je serai pris en charge à la clinique d’abord, et je m’acquitterai des frais médicaux ensuite, ce qui n’est pas le cas dans les hôpitaux publics où il faut commencer par payer ».

Ajoutées à la précarité financière ambiante, ces pratiques répréhensibles du corps médical entraînent une certaine désaffection des masses sociales d’avec les structures sanitaires. La rupture est telle que les masses laborieuses se tournent prioritairement vers les naturothérapeutes (les guérisseurs traditionnels), faisant ainsi de l’hôpital un choix par défaut. Cependant, loin d’être l’apanage du seul corps sanitaire, la corruption est aujourd’hui une des choses les mieux partagées au sein de la société ivoirienne.

-LA CORRUPTION : UN SPORT NATIONAL

Malheureusement, le changement de régime advenu en 2011 n’y a rien fait. Pire, le phénomène de corruption, de concussion ou de prévarication fait figure aujourd’hui de véritable fléau national. Nos ministères, et en général nos administrations se sont transformés en nids de la corruption. Entre pots de vins liés à la passation des marchés, détournements de fonds publics, abus de biens sociaux, vente des concours d’entrée à la fonction publique et rackets des forces de l’ordre… Chacun veut « sa part du gâteau », et c’est peu de le dire. Tous ceux qui possèdent une parcelle de pouvoir,  y compris les « sans grades « , veulent s’en mettre plein les poches. L’enrichissement illicite semble être le maître mot, un véritable sport national. Signe des temps, la classe des nouveaux riches compte de nombreux pontes du régime, à la tête des institutions, des ministères, des régies financières… faisant du pouvoir une véritable mangeoire. Le plus dramatique, dans tout ça, est l’inaction du chef de l’Etat. Une incurie aussi assourdissante que révoltante. En dépit des nombreux scandales financiers qui entachent l’exercice de son pouvoir, aucun baron du régime ne s’est encore retrouvé derrière les barreaux. Et Dieu seul sait qu’ils devraient s’y trouver par dizaines, tant il est vrai qu’aujourd’hui l’enrichissement illicite s’est érigé en mode de fonctionnement dans de nombreux départements ministériels. Le chef de l’Etat semble en tout cas avoir trouvé la parade : en guise de mesure en cas de détournements de fonds, il procède à de simples remplacements des mis en cause, sans suites judiciaires (ou avec des suites qui de toute manière n’aboutissent jamais).

Ainsi va la vie sous les latitudes ivoiriennes, entre petite corruption et enrichissement illicite au sommet de l’Etat.

 

Étiquettes
Partagez

Commentaires

Aly
Répondre

La santé est-_elle gratuite ou pas dans ce pays? Ces véreux profitent de la misère des autres. Yako à l'Afrique. Et avec ça on dit, tout va bien.